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GRANDEUR ET LIMITE DE
L'AUTOMATION
QUELQUES PROBLEMES ACTUELS DU
CAPITALISME

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"La généralisation de l'automation, c'est-à-dire sa mise en oeuvre aussi bien dans le département "I" que dans le département "II", dans les bureaux aussi bien que dans les ateliers, ne constitue pas seulement un nouveau pas en avant dans l'augmentation de la productivité du travail dont Marx disait qu'elle était une tendance nécessaire du développement du capital. Elle est la réalisation de cette tendance jusqu'au point où intervient, dans le développement historique du mode de production capitaliste, une mutation qualitative qui inaugure la dissolution de ce mode de production...L'impossibilité d'une production qui garderait les caractères capitalistes sur la base technologique d'une automation généralisée tient tout d'abord au fait que le problème de la réalisation de la plus-value deviendrait insoluble." P.Souyri "La dynamique du capitalisme au 20 ème siècle", Payot, 1983.

Nous avions déjà souligné, dans les chapitres précédents, toute l'importance qu'il fallait accorder à ce livre. Ce chapitre s'appuie plus particulièrement sur sa dernière partie intitulée: "La généralisation de l'automation". Il s'agit ici d'exprimer les quelques réflexions produites par la lecture de celle-ci en regard avec l'évolution récente du monde, ainsi que d'exprimer les quelques hypothèses que nous pouvons en tirer. L'idée, largement et communément exprimée et diffusée par les différents médias et par la bouche même des gestionnaires du capital, est que l'automation ne cessera de se développer à travers le monde, qu'elle est une nécessité historique, sociale et économique. A terme, elle devrait même finir par remplacer tout le travail humain pour ouvrir enfin aux hommes et aux femmes le temps permanent des loisirs. Ce serait la fin de l'ère des prolétaires, et pourquoi pas le début de celui du "communisme du capital" dont parlait déjà Marx à son époque. Pourtant l'automation généralisée et absolue est impossible. En effet, nous avons déjà fait remarquer que la contradiction du mode de production capitaliste est et reste de faire du travail la source et la mesure de toute richesse, alors que, dans le même temps, il est condamné à produire et à vendre des marchandises qui doivent contenir le moins de travail possible. La richesse capitaliste est du travail accumulé, son moteur l'accroissement et le développement de cette accumulation. Le capital s'accumule donc obligatoirement par du travail. Aujourd'hui, cette accumulation se réalise par un "minimum" de travail direct pour un "maximum" de travail déjà accumulé, donc de travail mort. Le processus de valorisation consiste donc à incorporer de la valeur supplémentaire au capital qui, par ailleurs, n'est qu'une somme de valeurs.

Le capital a, jusqu'à une date récente, réglé la contradiction signalée plus haut par la substitution du travail qui apparaît comme indirect, (-cf le tertiaire-), au travail direct. Toutefois, cette substitution entraîne une hausse déséquilibrante du rapport "capital/création de valeurs", qui est le contraire du but recherché. Pour plus de clarté et de précision, nous renvoyons au chapitre consacré à la chute tendancielle du taux de profit. Pour le capitalisme, il faudrait et il faut par conséquent que la contre-tendance valorisante soit toujours supérieure à la tendance de la dévalorisation, et il lui faudrait et il lui faut alors organiser une modernisation continue et permanente de son appareil productif. C'est historiquement impossible, l'histoire moderne montre, au contraire, que l'expansion capitaliste ne se fait que par cycle, dans lequel le processus de dévalorisation de l'extraction de la plus-value finit par rompre l'équilibre général par des cassures, des crises qui naissent quand le rendement décroissant du capital ne plus être socialement supporté. L'usine automatique ajouterait et ajoute déjà, sans aucun doute, moins de valeur aux marchandises transformées parce qu'en employant moins de travail, même si le rare travail restant serait de fait beaucoup plus qualifié et largement mieux rétribué que dans les usines non encore automatisées. En vendant son produit au même prix, (-cf problème de la péréquation générale des prix-), l'usine moderne s'approprierait ainsi une partie de la valeur produite par les autres entreprises archaïques et obsolètes, obtenant alors un taux de profit supérieur à la moyenne, en clair cela signifie que l'automation n'a véritablement de sens que dans un milieu qui n'est pas automatisé ou qui ne l'est pas totalement: "Son avance technologique lui permet pourtant de réaliser un taux de profit supérieur à la moyenne, parce qu'elle s'approprie une partie de la plus-value produite par le travail employé dans d'autres entreprises.", opus cité. Cette entreprise échangerait ainsi inégalement avec les entreprises situées en amont du cycle productif, notamment ses fournisseurs qui emploient plus de travail direct et qui incorporent donc nécessairement plus de valeur dans leurs fournitures de marchandises qu'elle ne leur en donne, elle-même, en les payant.

La réalité de cette hypothèse se vérifie dans le rapport qui s'est instauré très précisément entre les grandes entreprises automobiles très largement automatisées et leurs sous-traitants qui le sont beaucoup moins. Les premières imposent leur prix liés et fixés fictivement à une production automatisée, alors qu'elle ne l'est pas ou simplement en partie. Ceci explique, par ailleurs, les failittes de ces entreprises, leurs nécessaires restructuration et la tendance qui les conduit, elles-mêmes, à automatiser leur production. Ce qui est vrai pour les entreprises situées en amont l'est tout autant pour celles qui sont situées en aval du cycle productif, car à ce niveau la péréquation des prix s'organise par le biais de la commercialisation et du transport des marchandises. Cette vérité se trouve aussi socialement et économiquement vérifiée par les contraintes à la baisse qu'imposent les grandes entreprises de distribution à leurs différents fournisseurs. L'entreprise ou le pays automatisé compensent donc le moins de plus-value extraite, parce qu'employant moins de force de travail, par celle qu'il peut tirer des échanges avec les entreprises ou les pays beaucoup moins automatisés. Toutefois, une telle entreprise ou un tel pays ne pourraient que ruiner les autres et saper ainsi ses sources de plus-value: "Les pays, qui se trouveraient surclassés sur le plan de la productivité, n'auraient d'autre alternative que d'intensifier l'exploitation de la force de travail en vue d'accumuler suffisamment de capitaux pour combler le retard technologique en s'engageant à leur tour dans la voie de l'automatisation généralisée, ou de perdre les uns après les autres tous leurs marchés et d'aboutir finalement à un effondrement industriel et à un chômage massif. ", opus cité. Ce qui va, là encore, à rencontre du but recherché. Il leur faudrait alors toujours chercher à l'extérieur d'eux-mêmes les concurrents moins avancés dont ils se nourriraient par échange inégal. Cette expansion finirait immanquablement dans une lutte exacerbée entre les états, faisant baisser l'avantage de productivité du capital ainsi concerné par l'automatisation progressive de ses rivaux. Aujourd'hui, cette hypothèse se concrétise par la tendance des grands groupes industriels ou des pays capitalistes les plus développés et les plus performants à toujours chercher des lieux géographiques où la force de travail existante puisse être faiblement rémunérée. Le capital est lancé dans une épouvantable course poursuite, après la Corée du Sud, Taïwan, il délocalise en direction du Sri-Lanka, de la Chine, du Pakistan etc...

Ce processus de redéploiement, à durer durablement, entraînerait le monde dans une série de profondes convulsions, situation qui ferait que les manifestations et les effets de la crise actuelle, tels que nous les vivons, apparaîtraient et apparaîtront à terme comme d'aimables facéties. Ce processus, poussé à sa dernière extrémité, provoquerait une évolution radicale du capital qui le conduirait d'une phase de développement intensif à une nouvelle phase de développement extensif dont nous voyons par ailleurs les limites, tout comme nous voyons déjà ce qu'une telle évolution contient de dérèglements supplémentaires. En effet et compte tenu des marchandises encore majoritairement fabriquées, il n'existe actuellement que quelques pays nouvellement industrialisés dont le développement même ajoute à la crise générale. Signalons, à titre d'exemple, que la Corée du Sud est devenue en quelques années le 5 ème constructeur automobile du monde, tandis que la grande majorité des pays ne peut et ne pourra pas bénéficier de ce redéploiement, en outre certains pays de cette majorité sont soumis à de redoutables effets pervers, notamment par le biais de la destruction massive de capital mort et vivant devenu insuffisamment rentable et productif, (cf. l'évolution des pays bureaucratiques).