L'Organisation
des Jeunes Travailleurs Révolutionnaires (OJTR) avait disparu à peu
près à la même époque que le Mouvement Communiste. Début 1974, l'OJTR
organisa une réunion nationale qui fut un échec. Ceci ne l'empêcha heureusement
pas de publier Un monde sans argent (3 fascicules, 1975-76),
où pour la première fois, peut-être, et à la différence des écrits utopistes
et anarchistes, on envisageait le mécanisme concret d'une révolution
communiste.
L'auteur
de ce texte, D. Blanc, anima ensuite King Kong International
(1976). Caractéristique de la période, l'éditorial, synthèse de positions
communistes essentielles, tranchait avec d'autres articles mineurs,
et un texte sur Lip qui ne faisait pas la critique de cette opération
de sauvetage d'une entreprise par ses employés. Il ne suffit jamais
d'indiquer les causes profondément prolétariennes d'actes sociaux, encore
faut-il dire à quels effets ils aboutissent. Dans l'affaire Lip, comme
dans bien d'autres cas, le capitalisme avait réussi à pénétrer de l'intérieur
l'action ouvrière et à en faire une entreprise (aux deux sens du mot)
capitaliste qui, en outre, de par le retentissement national et international
qu'elle connut, eut une fonction antirévolutionnaire .
Au deuxième
numéro, la revue changea de nom pour s'appeler la Guerre sociale
(n·1, 1977J. Un texte sur l'abolition du travail salarié,
diffusé massivement le 1er mai 1977, fut repris en éditorial. Il coexistait
avec au moins deux textes profondément erronés, sur l'automation et
le refus du travail interprétés unilatéralement comme preuve que le
capital serait au bout du rouleau. La mise au point dans le n·2
ne mit pas les choses au point.
Parmi les
participants passés ou actuels de la GS, certains avaient participé
à la VT et au MC. En outre, G. Dauvé a contribué à la GS en donnant
les premières versions, modifiées ensuite, du texte sur l'Etat (paru
dans le n°2), et sur les camps (n°3, 1979).
La lecture
de la GS et de la Banquise montrera clairement les parentés
et les convergences. En plus de ce dont nous parlerons plus loin (et
qui n'est pas rien), la Banquise adresse deux critiques à la GS:
premièrement, la GS ne va pas au fond de l'analyse des luttes
revendicatives; deuxièmement, elle a mal rompu avec la propagande.
Si la GS
est tentée par le triomphalisme (articles du n°1 déjà signalés, articles
sur Denain-Longwy dans le n°2), c'est probablement plus qu'un signe
d'optimisme excessif. La critique du mouvement ouvrier, y compris des
mouvements sauvages, n'est pas menée à terme. La GS écrit dans
le n·4 (1982):
"Il nous
semble que, indépendamment des formes d'organisation, syndicales ou
autonomes, le prolétariat s'exprime également dans sa lutte élémentaire
de résistance à l'exploitation. Même si de cette façon, il ne se montre
pas révolutionnaire."
Thèse,
au minimum, discutable et à discuter. (Voir nos positions sur la définition
du prolétariat p...) La résistance élémentaire est une condition du
mouvement communiste, mais une condition seulement. Nous ne faisons
ni l'apologie de toute lutte ouvrière (qui peut être ou devenir antiprolétarienne),
ni même celle de toute lutte de classe (qui peut être réformiste ou
même aboutir à emprisonner encore davantage les prolétaires dans le
capitalisme).
On ne peut
faire l'impasse sur ce sujet. Aucun regroupement ne se fera sur la seule
base de la compréhension du communisme et de la révolution. Encore faut-il
s'entendre sur ce qu'il y a entre maintenant et une révolution; sur
ce que fait et ne fait pas le prolétariat.
Dans les
premiers numéros la GS préférait publier des textes mineurs aux
dépens d'autres fondamentaux (sur l'IS par exemple) réservés à une diffusion
restreinte. La GS était souvent en deçà d'Un monde sans argent.
Le texte sur la crise (n°3) laissait de côté ce qu'il y avait d'essentiel
dans une autre analyse antérieure, de D. Blanc, polycopiée, sur le sujet.
La GS a trop fait de la simplification, de la propagande.
"C'était
une conférence, c'est-à-dire de l'éducation et de la vulgarisation.
J'aurais voulu que cette conférence en m'apprenant quelque chose, vous
apprît quelque chose à vous aussi. Ce critérium de la découverte est
le seul qui m'apparaisse comme valable quand j'écris." (lettre d'A.
Artaud à André Rolland de Renéville, 11 janvier 1933)
Fin 1979,
après le n·3, D. Blanc adressa une lettre circulaire aux
membres du groupe et à une série de gens ayant collaboré avec lui dans
le passé, ainsi qu'à ceux qu'il connaissait parmi les rédacteurs du
faux Monde Diplomatique. La GS, disait-il, subissait les
conséquences de la passivité générale. Elle était en crise et il se
demandait s'il fallait l'arrêter ou la continuer. Une correspondance
s'ensuivit. Les futurs rédacteurs de la Banquise reconnaissaient l'importance
de l'existence d'une revue comme la GS mais adressaient les critiques
résumées ci-dessus.
Au printemps
1980, une réunion eut lieu à Paris dont un compte-rendu fut rédigé peu
après par les membres Iyonnais de la GS. Aucun rapport n'est
impartial, le nôtre aurait été différent, mais celui-ci est honnête,
nous le reproduisons intégralement en annexe. La réunion s'était déroulée
dans un climat de bonne volonté générale, de critiques franches et de
refus des polémiques. Ceux qui font aujourd'hui la Banquise avaient
le sentiment qu'on entrait peut-être dans une nouvelle période durant
laquelle un regroupement révolutionnaire allait s'opérer. Dans les semaines
suivantes des textes furent rédigés et expédiés à tous les participants:
-- un texte
de G. Dauvé sur les camps de concentration et leur mythe (publié par
la suite dans deux numéros du Frondeur; quelques pages ont été
intégrées dans "L'horreur est humaine" du n°1 de La Banquise).
Ce texte versait trop dans la psychologie de masse mais amorçait une
critique de Rassinier et de Faurisson;
-- un autre
texte du même sur "Prolétariat et communisme", reprenant des manuscrits
antérieurs;
-- un texte
de J.-P. Carasso et de S. Quadruppani, devenu après modification, "Pour
un monde sans morale", paru dans le n°1 de La Banquise;
-- un texte
de G. Dauvé sur la guerre, dont une partie deviendra "Guerre et peur"
(n°1 de La Banquise, dont un extrait sera publié dans Indolencia,
à Barcelone, et présenté par erreur comme émanant de la GS).
Les engagements
semblaient tenus. Mais...
D. Blanc
considéra d'abord que "Prolétariat et communisme" jetait le prolétariat
par la fenêtre, puis quelques temps après, déclarait que le texte sur
la morale était plus proche des positions de Bruckner (intellectuel
moderniste) que de celles de la GS, que cette bouillie de "moralisme
immoraliste ne valait rien, n'expliquait rien" et le qualifiait pour
finir de "branlette vaneigemiste" (c'est-à-dire sous-situationniste).
Ses critiques s'exprimaient avec une agressivité de moins en moins contrôlée
et laissaient peu de place aux arguments. Le texte sur la morale, contenait
effectivement des passages très erronés qui ont été corrigés depuis
(entre autres une présentation noncritique du mythe du "réfractaire",
et même une demi-identification du réfractaire au révolutionnaire) mais
des textes de travail ne méritaient pas pareille fureur.
Par ailleurs,
l'affaire Faurisson aggrava davantage les différends. D'un commun accord
entre P. Guillaume et nous, elle n'avait pas été discutée à la réunion,
puisqu'on attendait encore (mars 1980) les réponses de Pierre à nos
critiques. Quelques temps après, Pierre continuant avec une belle énergie
dans la voie qu'il avait prise, nous estimâmes impossible de taire plus
longtemps nos désaccords avec lui. Croyant préparer l'avenir et non
le gâcher, nous portâmes tout cela à la connaissance de tous ceux qui
avaient participé à la réunion de mars. Pierre réagit par une nouvelle
lettre que nous fîmes également circuler. Nous voulions vider l'abcès.
Il nous était presque impossible de croire que la VT2 persisterait longtemps
encore dans ses aberrations. Nous pensions qu'en gros les membres de
la GS seraient d'accord avec nous sur le fond de notre différend
avec Pierre, le lui feraient savoir et qu'ainsi ce dernier se trouverait
au pied du mur.
Mais D.
Blanc, tout en donnant tort à Pierre sur la question de l'intervention
dans les médias, concentra toutes ses énergies à critiquer notre attitude
et déclara celle de Pierre plus "sympathique" que la nôtre. A notre
grand étonnement, il ne se prononça guère sur le fond (doit-on soutenir
Faurisson?) mais déclara Rassinier plus subversif et Pierre plus sympathique
que nous.
Il choisissait
de prendre comme un procès fait à Pierre par des gens également coupables
de ce qu'ils lui reprochaient (lettres au journaux, erreurs effectivement
critiquables), ce qui était pour nous un appel à une discussion indispensable
et une mise en garde. D. Blanc avait à juste titre reproché à un de
ses camarades d'avoir tenté d'obtenir du Nouvel Observateur qu'il
parlât de la GS. Alors que dire d'une campagne de publicité systématique
pour Faurisson?
Imagine-t-on
un groupe publiant un article contre la démocratie et dont l'un des
membres les plus éminents, un de ceux sans qui l'article n'aurait pas
été fait, serait ensuite candidat à une élection? C'était bien cette
inadmissible confusion que créait Pierre en participant à un regroupement
révolutionnaire tout en menant une campagne pour la démocratisation
des médias en faveur de Faurisson. Il y avait là une équivoque à trancher.
D. Blanc s'y est refusé. En conséquence, à l'automne suivant, la GS
rejoignait la VT2 dans l'activisme confusionniste pour la défense de
Faurisson.
La critique
des "droits de l'homme" fait partie des positions révolutionnaires minimum
d'aujourd'hui, pour nous comme, sans aucun doute, pour la GS.
Comment un groupe peut-il se laisser entraîner, de plus en plus ouvertement
dans une campagne des droits de l'homme? Et pourquoi l'homme en question
serait-il précisément Faurisson?
Un contrat
avait été passé en mars. Nous avions l'impression de l'avoir rempli.
Nous fûmes les seuls. Quels qu'aient été les désaccords avec la GS,
ils ne motivaient pas une attitude qui se résume ainsi: la GS
a délibérément choisi de ne pas s'associer des gens qu'elle a traité
comme des intellectuels sous-situationnistes ou dérivant dangereusement
vers le camattisme. Le texte sur les moeurs, amendé, se trouve dans
le n·1, les idées sur le prolétariat sont dans les n·1
et n·2. Chacun appréciera les jugements portés sur nous par
D. Blanc.
Il existe
très certainement entre la GS et nous des désaccords importants,
aussi bien sur la conception du prolétariat que sur la critique des
moeurs. Ces désaccords nous auraient très vraisemblablement interdit
une collaboration suivie, en tout cas dans la même revue. Mais il y
avait là l'occasion de discuter de sujets essentiels, et l'attitude
de D. Blanc nous l'a interdit.
Dans la
lettre-circulaire qui mit un point final à nos relations avec la GS
et son réseau de correspondants, nous écrivions ces phrases qui résument
notre sentiment sur cet épisode: "Que les caprices d'un individu et
les "obscurs règlements de compte affectifs" aient encore tant d'importance
montre bien la faiblesse du courant révolutionnaire. Dans toute cette
triste affaire, c'est ce qui nous gêne le plus." Tant que le courant
révolutionnaire sera aussi faible, les affrontements de personnalité
et de caractère garderont leur importance. Il faut parfois faire un
peu de psychologie pour ne pas avoir à en faire beaucoup par la suite.
Mais surtout, il faut trouver un mode de relations entre individus et
entre groupes qui tienne en lisière les comportements affectifs paralysants.
Le regroupement de quelques individus sur La Banquise n'est pas
une fin en soi. Nous sommes ouverts à toutes relations avec des groupes
et des individus, mais il faudra que ces relations se fassent dans des
termes qui montrent qu'on a un minimum de départ en commun. Il y a des
règles de conduite à trouver entre révolutionnaires. Après nous avoir
traités de branleurs vaneigemistes et nous avoir déclarés moins subversifs
que Rassinier, D. Blanc a eu l'air de s'étonner de ce que nous nous
refusions désormais à toute discussion avec lui. Il vient encore de
nous écrire une lettre d'insultes à propos du n·1 de La
Banquise. A cette lettre* comme aux précédentes nous ne répondrons
pas. Tout le monde a déjà vu des gauchistes qui se laissent patiemment
abreuver d'insultes par leurs interlocuteurs avant de se remettre bravement
à argumenter. Nous ne pratiquons pas cet angélisme-là, non pas (pas
seulement) par amour-propre, mais parce qu'on ne discute de façon efficace
qu'avec ceux avec qui on a au minimum, un langage commun. A des insultes,
nous ne pourrions répondre que par des insultes et nous ne voulons pas
non plus sombrer dans ce petit jeu sous-situationniste.
Après la
fort sympathique réunion de mars 1980, les amis et membres de la GS,
à qui avaient été adressés les textes et le double des correspondances
avec P. Guillaume et D. Blanc, ne manifestèrent à une exception près
aucune réaction. Rien. Pourquoi jouèrent-ils les white zombies
que nous les savons ne pas être? Dans son exposé de ce qui s'est passé
entre les numéros 3 et 4, la GS fait allusion à ce printemps
raté: "Au lieu de nous renforcer, nous sommes parvenus à dégrader certains
de nos rapports et même ceux avec lesquels une collaboration plus lointaine
et plus épisodique pouvait être possible." (n°4, 1982, p. 43). Le lecteur
de la GS n'en saura pas davantage.
La Banquise,
comme toute revue révolutionnaire conséquente, travaille à sa disparition.
Notre activité n'a de sens qu'en fonction d'un mouvement qui un jour
englobera toutes les énergies manifestées ici ou là sous la forme de
groupes ou de revues. Nous n'avons rien à voir avec la grande famille
de l'extrême-gauche. En revanche, nous savons qu'un surgissement prolétarien
aurait tôt fait de trancher les différends qui nous séparent des autres
segments du mouvement révolutionnaire. En attendant, nous continuerons
de rechercher entre nous et avec ceux que nous rencontrerons une cohérence
qui n'est jamais donnée au départ, mais ne peut être atteinte qu'en
éclairant au maximum les points de désaccord et en les travaillant.
La VT première manière, le MC, la GS et ceux qui animent La Banquise
ont commis des erreurs. Le plus grave aurait été de laisser ces erreurs
dans l'obscurité.
REUNION
DU 22 MARS 80 - PARIS
Une
vingtaine de participants, dont 3 du Sud-Ouest, 3 de Lyon, le reste
de Paris. Ce compte-rendu fait seulement état de la réunion du samedi
22, la discussion du dimanche (avec la participation d'un camarade d'Aix-en-Provence)
étant plus informelle. Il convient de signaler le nombre très réduit
de femmes (2) et la relative "vieillesse" des participants.
La
discussion s'engage sur une critique de la G.S.
Critique
du contenu de la revue qui interfère avec une critique du fonctionnement
--
Jean-Pierre, Serge, Christine, Gilles ne veulent pas se placer par rapport
à l'existence de la revue en elle-même mais par rapport à ce que l'on
a à dire. A côté de textes importants comme "MISERE DU FEMINISME", "LA
QUESTION DE L'ETAT", "LES CAMPS"... coexistent des articles où les arguments
ne sont pas à la hauteur des affirmations, ou contenant des choses carrément
fausses. Qu'il s'agisse des éditoriaux, de New York (2), Denain-Longwy,
l'lran (3) la réalité est amplifiée avec un optimisme qui masque un
manque d'analyse, mais vient renforcer un optimisme plus général sur
la révolution, conduisant à fabriquer de l'idéologie communiste rassurante
pour le groupe et les lecteurs. (Point de vue partagé par Dominique
de Lyon.)
--
Dominique K. explique que son optimisme n'est pas à courte vue. Si ce
monde est gros d'une révolution, ce n'est pas qu'il la voit arriver
avec Denain, mais a cause des contradictions du capitalisme. DK reconnaît
la faiblesse de ces articles ou de passages faux (l'armée s'est-elle
vraiment effondrée a une vitesse foudroyante en Iran). Pierre fait remarquer
le mystère de cette armée iranienne ultra-puissante qui s'est apparemment
volatilisée: "Où est passée la 7e compagnie?" (Pat) Mais ces carences
sont le résultat d'une situation concrète (rapport des forces dans le
N· 1), Denain-Longwy qui devait être une affiche-tract --
ce qui explique le ton -- les engagements non tenus -- et l'absence
de certains qui auraient dû être présents dans la revue. Pierre pour
résumer la situation, parle du rôle de rédacteur en chef de DK. "Le
commencement du commencement c'est quand même l'existence d'une revue..."
(DK)
--
Gilles dit qu'on ne peut pas se contenter d'aligner des listes de luttes
ouvrières, que leur caractère violent contre l'Etat n'en fait pas forcément
des luttes pour le communisme. "Les sidérurgistes se sont battus pour
rester sidérurgistes." Est mentionné la réponse de Quim: "parce que
toujours on se bat contre" -- Henri: dans la lutte élémentaire prolétarienne,
il y a autre chose; par leur situation dans la production, des fractions
du prolétariat cassent momentanément le fonctionnement de l'économie,
même si le réformisme est leur conclusion logique (contradiction du
prolétariat entre capital et communisme). Gilles parle de crise du prolétariat.
Tout le monde est d'accord pour reconnaître que c'est le problème n·1
(constatation au niveau des concepts et de la terminologie où l'on emploie
indifféremment classe ouvrière, prolétariat, travailleurs...).
Gilles
s'étonne que des textes essentiels comme "Chant funèbre" et "l'I.S."
ne soient jamais parus. Pierre parle de l'IS comme "style" et de son
rapport subversif à la communication. Si l'ultra-gauche et le "milieu"
ont un rapport surtout défensif au monde, l'IS avait montré une attitude
beaucoup plus offensive. Tous ceux qui ont lu le texte de Dominique
K. s'accordent à le trouver important (Gilles, Gérald) même si le style
laisse à désirer. Mais Dom préfère se consacrer à la réécriture de "Un
monde sans argent". Alain (Quillan-sud-ouest) n'est pas d'accord avec
la publication du texte sur l'IS dans la revue, il craint que l'on ressuscite
le mythe, que la revue reste branchée sur les mêmes interlocuteurs et
ne sorte pas d'un certain milieu. (Point de vue partagé par Jacques
(Sud-Ouest) François (Lyon).) Gilles signale qu'il a écrit un texte
sur l'IS qui circule en anglais.
Le
problème de l'intervention
Sous
une forme un peu délirante la plate-forme Sud-Ouest avait posé le problème
ainsi que les questions "A quoi sert la revue? a qui s'adresse-t-elle?"
que soulève Sylvie. Jacques pense qu'on ne peut pas en rester à une
revue théorique sans poser le problème des liens avec le mouvement social,
de l'intervention pratique dans les luttes et de l'organisation de fractions
communistes. Jean-Pierre répond; s'il s'agit d'intervention, il n'y
a pas à en parler dans l'abstrait, il faut des choses précises à discuter
et à décider. Jacques veut bien admettre que l'on passe d'abord par
une revue théorique. Au passage la remarque de Gilles: on ne doit pas
poser l'existence de la revue en terme de grosses têtes qui pensent
et écrivent pour les autres, elle doit permettre la possibilité d'un
débat et d'une circulation des idées ou projets, même si certains ont
plus de capacités pour les formuler. Effectivement plusieurs n'ont rien
dit à la réunion et après pourtant avaient un avis sur telle ou telle
question. Les ouvriers ou ceux qui n'ont jamais trempé dans la politique
et la réunionite seront toujours moins à l'aise dans les réunions. N'ont-ils
pour autant aucun point de vue? Le problème se reposera. Dominique K.
évoque son souci permanent d'être compris par des gens qui n'ont pas
de références aux "classiques". Il s'inquiète si la théorie n'est pas
communicable à ceux qui socialement peuvent la comprendre le mieux.
(Problème de l'autonomisation de la théorie, ayant peu de liens avec
le mouvement social -- et atomisation prolétarienne qui renforce cette
situation -- abordé dimanche.)
--
Dominique parle de règles à établir afin de tenir ce à quoi on s'engage,
et d'éviter certaines conneries évoquées dans sa lettre. J.-P. explique
dans quelles conditions se sont faites les interventions dans les journaux
à propos de l'affaire Faurisson et de ses retombées. La discussion s'enlise
sur la question des règles formelles par exemple que soit connu l'utilisation
précise des ressources financières. En fait derrière les règles formelles
ce sont plutôt des principes qu'il faut rendre évident lorsqu'on dépasse
le cercle des amis proches. Derrière la règle de ne pas intervenir dans
la presse (sauf pour la défense d'un révolutionnaire en danger) il s'agit
du principe de l'autonomie de la communication des idées communistes.
L'accord
se fait sur le principe d'une activité collective, le problème n'étant
pas de remplir un éventuel n·4 mais qu'il y ait un débat
sur les questions importantes abordées et donc des contributions concrètes
qui fourniront logiquement matière à beaucoup plus qu'un n·4.
--
J.-P., Serge, José, Gilles... mentionnent leurs discussions organisées
sur la guerre avec un texte de Gilles.
--
J.-P. et Serge devaient faire un texte sur les moeurs. Il est possible
qu'ils l'intègrent dans un texte plus général sur la crise (crise sociale
-- crise économique).
--
Gilles reverra à nouveau son "Crise du prolétariat".
--
Henri fera parvenir des notes sur la recomposition du prolétariat a
partir de la transformation du procès de travail.
--
Une suite au texte sur les camps est demandée, l'article se terminant
sur "le besoin de démonter les mécanismes qui assurent la production
et la reproduction de l'idéologie et de ses délires, on attend toujours
l'horloger". Appel est fait à Pierre.
--
Le texte sur l'IS doit être revu. Confrontation avec le texte de Gilles
et les lumières de Pierre. Pour sa parution il a été proposé de le sortir
en brochure. Mais qui va le réécrire ???
--
Le texte sur l'écologie de DK est trouvé bon par tous ceux qui l'ont
lu. Moyennant quelques améliorations il pourrait sortir (envoyer suggestions
à Dominique), une traduction italienne attend. Il est proposé un tract
affiche sur l'écologie avec lequel on pourrait intervenir (Perpignan
journées écolo. -- Lyon assises nationales écolo. les 1,2,3,4 mai).
Toutes
les contributions doivent être envoyées rapidement à la BP de la revue.
José se charge de la redistribution des textes avec l'appui et l'aide
des gens de Paris (photocopies). Le 15 mai confrontation des textes.
NOTE.
-- Le déplacement des camarades de province a entraîné des frais et
davantage d'énergie que pour les Parisiens (d'autant que la plupart
sont chômeurs). Le minimum serait que les frais soient partagés. Pour
cette fois il est proposé que la contribution parisienne soit reversée
pour l'édition espagnole de "La Question de l'Etat", "Misère du féminisme...".
L'automne
de
la Guerre sociale
1980,
en France: une stratégie de la tension visant la " communauté " juive
est à l' oe uvre. Ce qui a commencé par des mitraillages nocturnes de
synagogues et d'écoles culmine avec l'attentat de la rue Copernic. Etat
israélien, Etat arabe, politique française, jusqu'auboutistes palestiniens,
quelles qu'aient été les forces à l'origine de ces actes, il est clair
que, comme plus tard lors de la guerre du Liban, elles visaient à obtenir
une cristallisation défensive de la communauté juive, que les appareils
politiques et les idéologues de tous poils s ' employèrent à manipuler
. Après l'attentat, une grande manifestation d'Union Sacrée eut lieu.
Contre la résurgence d'une mythique barbarie néo - nazie défilèrent
bien des gens qui avaient défendu d'autres barbaries, partisans du stalinisme
d'hier et d'aujourd'hui, anciens membres de gouvernements qui ont couvert
la torture en Algérie, défenseurs d'un sionisme qui avant d'avoir possédé
un Etat tortureur de Palestiniens, avait été un mouvement terroriste
qui massacra bien des victimes " innocentes " .
Au
mois de septembre 1980, à l'initiative de la GS, un tract, " Notre royaume
est une prison " fut publié, signé de divers groupes ultra - gauche
et diffusé largement, notamment à la manifestation après Copernic. Ce
tract dénonçant l'antifascisme eût été bon, s'il n'était entré dans
le débat des chambres à gaz et s'il n'avait comporté un passage parfaitement
fa uri ssonnien sur les camps:
"
La déportation et la concentration de millions d'hommes ne se réduisent
pas à une idée infernale des nazis, c'est avant tout le manque de main
- d' oe uvre nécessaire à l'industrie de guerre qui en a fait un besoin.
Contrôlant de moins en moins la situation, la guerre se prolongeant
et rassemblant contre lui des forces bien supérieures, le fascisme ne
pouvait nourrir suffisamment les déportés et répartir convenablement
la nourriture. " (Cité dans Mise au point.)
Ce
passage a servi de prétexte pour rejeter tout ce qu'il y avait de juste
dans ce tract. Mais tout de même! En venir à parler comme Faurisson...
régression par rapport au n·3 de la GS qui traitait de la déportation
dans toute son ampleur, la première phase de ce passage fait tout bonnement
l'impasse sur la question juive. L'antisémitisme nazi n'existe plus.
N'a - t - il pas pourtant joué un rôle dans la " déportation et la concentration
" ? La thèse officielle explique tout par le racisme nazi. Oublier le
racisme nazi, c'est prendre le contre - pied de la version officielle
et non pas la critiquer. Avec une " omission " historique de cette taille,
ce n'était pas non plus se mettre en bonne position pour écrire un tract
percutant sur l'opposition dictature - démocratie. Les démocrates se
sont évidemment jetés sur cette lacune.
La
seconde phrase du passage est tout aussi déplorable. De la thèse: le
nazisme voulait tuer, on est passé à: le nazisme ne pouvait plus nourrir
les déportés. Deux explications aussi réductrices l'une que l'autre.
Comment expliquer ces monstruosités, sinon par l'influence faurisonnienne
dans nos rangs ?
Après
Copernic et la débauche de bonne conscience qui s'ensuivit, la meilleure
réaction fut la publication dans Libération du récit du massacre d'Algériens
à Paris en octobre 1961. Que Libération fasse mieux que les révolutionnaires
en dit long sur la désagrégation de leur courant.
Une
doctrine violemment antisémite avait aidé la venue d'Hitler au pouvoir.
Cette doctrine, portée par une hystérie populaire qu'elle avait exaspérée,
a poussé ensuite Hitler à des actes qui ne s'expliquent pas toujours
forcément par des motifs militaires ou économiques, même indirects,
mais relèvent souvent de la logique idéologique. L'idéologie n'est pas
un masque ou plutôt le masque et la peau ne font bientôt qu'un. L'antisémitisme,
un des ciments de l'équipe au pouvoir et de l'ordre social dans le pays,
avait ses exigences propr e s. Il a aussi conduit à l 'émigration forcée,
au refoulement, à la concentration, à l'e xtermination d'un grand nombre
de juifs. Concevoir l'idéologie comme possédant une autonomie relative
n'est pas contradictoire avec une vision matérialiste du monde. Le fait
concentrationnaire dans l'Allemagne nazie inclut les nécessités purement
économiques ou militaires, mais il n'inclut pas que cela. Il n'y pas
eu de complot d'extermination ourdi dès les origines du nazisme, mais
il y a eu plus qu'un enchaînement de circonstances dues à la guerre.
Une continuité de violence verbale s'est transformée en violence physique
d'abord sporadique (Nuit de Cristal en 1938), puis générale (camps)
.
Au
milieu des passions soulevées par Copernic, de l'hostilité générale
contre Faurisson, et dans une ambiance de chasse au néo - nazi, " Notre
Royaume... " déchaîna une série d'attaques contre la GS dans
la presse. Curieusement, la GS riposta par un tract distribué aux clavistes
de Libération et à la rédaction de Charlie - Hebdo, journaux qui s'en
étaient pris à elle. Le tract ayant été distribué à une manifestation
d'avocats de gauche, et le Monde l'ayant présenté comme un texte " profasciste
" , des membres de la GS se rendirent au Monde pour exiger et obtenir
le rectificatif qu'on peut lire ci -joint.
Les
auteurs du tract intitulé "Notre royaume est une prison", distribué
le 10 octobre au Palais de Justice de Paris par deux personnes qui ont
aussitôt été interpellées, nous prient de préciser qu'il ne s'agissait
pas d'un texte "pro-fasciste" (le Monde daté 12 - 13 octobre).
Ces tracts dénonçaient "la rumeur des chambres à gaz (...)
horreur mythique qui a permis de masquer les causes réelles et banales
des camps et de la guerre ", mais ils se terminaient par un appel
à la lutte communiste des prolétaires, la destruction du salariat, de
la marchandise et des Etats. Plusieurs organisations libertaires avaient
participé à la rédaction de ce tract.
Le
Monde, samedi 18 octobre 1980
La GS avait
à juste titre qualifié de " conneries " nos lettres adressées à Libération
au début de l'affaire Faurisson. Et voilà qu'elle se lançait dans cette
pratique, non pas comme nous l'avions fait, pour défendre des individus,
mais pour obtenir des médias qu'ils fissent connaître ses positions
de fond!
La GS et
d'autres -- en particulier le groupe Jeune Taupe - P.I.C. -- se mobilisèrent
vraiment pour Faurisson, lui apportant et apportant à la VT2 le soutien
et la caution " révolutionnaire " . Ils se transformaient eux - mêmes
en experts devant un tribunal qu'ils auraient dû récuser au même titre
que tout autre tribunal.
En entrant
dans la problématique de l'existence des chambres à gaz, la GS s'obligeait
à devenir un nouvel expert. Il est évident qu'un minimum de documentation
est nécessaire pour savoir de quoi l'on parle. Mais jusqu'à la venue
de Faurisson, la plupart des révolutionnaires fran ç ais faisaient une
distinction entre les questions qui avaient un sens à l'intérieur des
spécialités et celles qui avaient un sens pour tout le monde, et ne
s'intéressaient qu'aux secondes. Tout ce que nous avons compris sur
le monde, et sur la possibilité de le transformer, ne relève jamais
d'une connaissance spécialisée, car ce que nous savons est inséparable
de ce que nous avons fait et vécu. Faurisson, victime de l'illusion
de sa spé cialité (et quelle spécialité!) n'est que dépositaire des
détails. Sa critique des textes peut au mieux décortiquer des écrits,
jamais élucider des processus historiques. La critique révolutionnaire
récuse tous les experts et tous les tribunaux. Des groupes radicaux
en sont venus à soutenir un expert auprès du tribunal de Nuremberg.
Toute critique
de texte suppose une esthétique, une norme, elle n'est jamais l' oe
uvre d'un chercheur " neutre " introuvable. Faurisson croit à un texte
naturel, à un récit non truqué, à un état des mots qui précède l'interprétation,
et dont la découverte éclaircirait enfin le problème: le document révélant
le fait brut. Illusion d'un " réel " existant sous forme pure, avant
et sous les interprétations qui le recouvrent, et dont on pourrait l'extraire
à l'état pur.
Il n'y
a pas de connaissance de l'histoire indépendante du sens qu'on lui prête.
La pire des mystifications contemporaines, celle qui est comme le présupposé
théorique de toutes les autres, c'est l'objectivité, la négation de
l'élément subjectif - objectif de toute pensée. Celle que tente de nous
imposer l'école la i que et bourgeoise.
En 1981,
une Mise au point de la GS montre qu'elle s'est enfoncée dans une polémique
où elle n'avait rien à faire.
" ... on
pouvait apprécier et soutenir le travail de Faurisson sur des bases
anticapitalistes... " (p. 41)
Comme la
VT2, la GS arrange la biographie de Rassinier en minimisant son antisémitisme.
Mais un antisémitisme même minime est - il acceptable? La GS défendrait
- elle avec la même ardeur un historien " un peu " stalinien écrivant
sur des victimes du stalinisme ?
Au lieu
de faire la distinction entre la question posée par Faurisson et la
nôtre, la GS la critique sans montrer la différence radicale de point
de vue. Faurisson et les révolutionnaires ne regardent pas les choses
du même endroit, ils ne peuvent donc voir la même chose.
Sur la
formule: " Jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué
en raison de sa race ou de sa religion " , la GS écrit que Faurisson
" prend le contre-pied de l'image courante répandue sur la " solution
finale" et Hitler (...) Cette phrase était de toute façon par trop catégorique
(...) " (pp. 38 - 39}. Le moins qu'on puisse dire est que " trop catégorique
" est une critique bien insuffisante pour une affirmation aussi énorme
et erronée.
C'est la
société, dit la GS, qui des chambres à gaz " fait une question de principe
" (p. 40). L'article du n°3 n'en faisait pas une affaire essentielle.
Dès l'instant où des révolutionnaires ont " soutenu " Faurisson, lui
- même obnubilé par le gaz, ils se sont lancés dans ce qui est une "
question de principe " pour " la société " , mais pas pour eux. Qu'est
- ce que cela leur a apporté ? Quand la GS ignorait Faurisson, elle
en disait bien plus sur les camps. Tout ce qui, dans cette mise au point,
est important sur le nazisme et 1939 - 45, l 'est sans recours à Faurisson.
Cette même
brochure reproduit une lettre de P. Guillaume datant de 1979, et restée
jusque - là inédite, qui expose ses positions théoriques initiales (avant
la rencontre avec Faurisson) dans cette affaire. Si l'activité de Pierre
s'était résu m ée à ce texte (pourtant criti qu able), elle serait restée
sur le terrain de la critique communiste. Publiée un an et demi plus
tard, sa lettre apparaît comme une justification fallacieuse de la VT2.
Fallacieuse parce qu'elle ne contenait pas l'ensemble faurissonnien
qui s'est développé ensuite, et qu'elle sert ici à couvrir d'un manteau
théorique, avec l'aide de la GS. Tout ce que dit la lettre sur les raisons
révolutionnaires de l'intérêt pour la question concentrationnaire ne
justifie pas l' intérêt exclusif pour le gazage, encore moins l'intérêt
exclusif pour la recherche de Faurisson sur le gazage. Cette lettre
que nous demandions tant à Pierre de publier, parce qu'elle abordait
le problème de notre point de vue, est aujourd'hui mystificatrice.
Dans cette
lettre pourtant, Pierre niait déjà l'antisémitisme de Rassinier. En
outre, la confusion apparaît déjà dans un passage qu'il est remarquable
que nous n' ayons pas noté à l'époque. Concluant un développement sur
le procès de Lischka, Pierre ajoute;
... Tu
remarqueras que c'est moi qui apporte mon soutien à Kurt Lischka. Et
je souhaite que dans son procès les droits de la défense soient scrupuleusement
respectés. " (p. 90).
Une note
de 1981 précise: ce passage très critiqué paraît à Pierre effectivement
très criti qu able. " Ce que je voulais dire en tout cas, c'est que,
si je n'ai rien de commun avec un Lischka, je ne veux rien avoir de
commun non plus avec l'horrible bonne conscience des chasseurs de nazis.
"
Entre l'insatisfaction
d'une action surtout th éorique (revues, tracts parfois) et l'autodestruction
violente (terrorisme}, le problème des chambres à gaz à paru offrir
à quelques révolutionnaires un tremplin utilisable pour faire avancer
le mouvement communiste. Non seulement le gaz n'a pas fait progresser
la critique révolutionnaire du nazisme, du mécanisme de l'horreur, mais
il a provoqué une régression. On a perdu de vue la totalité. La revendication
du " droit à la recherche " , de la " liberté d'expression " devait
aboutir à son terme logique, la défense des droits de l'homme.
En RFA,
les interdits professionnels ont frappé des milliers de progressistes,
gauchistes, révolutionnaires, pendant une dizaine d'années. Il faut
attendre que l'auteur d'un livre iconoclaste sur Auschwitz se voit appliquer
le même traitement, pour que la VT2 lance en France une campagne pour
la défense des libertés démocratiques en RFA.
Tout en
signant dans la GS des notes de lecture favorables aux livres qu'il
publie dans des maisons d'édition, P. Guillaume lutte non seulement
pour la " liberté du chercheur, la déontologie de l'historien et la
liberté d'expression " , mais aussi pour la formation " de n o mbreux
juristes [...] amenés à travailler sur le texte gravement tronqué d'un
jugement " publié dans le Recueil Dalloz - Sirey (tract du 12
novembre 1982 ). Le contre - procès de Nuremberg, conduit à travers
une bataille judiciaire que la GS n'a jamais publiquement critiquée,
va jusqu'au bout du juridisme.
Comme l'
indiquaient les notes du n·1 de La Banquise (pp. 60 -
63 ) , l 'histoire officielle se révise constamment de manière indolore.
La VT2 et la GS ont voulu agir pour que cette révision ne puisse s'opérer
en douceur. Or l'idéologie dominante, en démocratie, inclut sa critique.
De là le risque que l'exercice de l'esprit critique ne se confonde avec
l'évolution normale de l'idéologie et du spectacle et n'en devienne
un moment, fût - ce le plus extrême, celui qui bouscule les choses,
mais seulement pour les faire aller vers une " révision " supplémentaire.
Pour ne
pas se briser sur cet écueil, la critique doit s'en prendre au
principe même de la révision, et ne pas se consacrer à en exiger une.
Les " révisionnistes " ne dénoncent pas la page " Idées " du Monde
: . l eur grande victoire serait d'y figurer. Tout le programme
de la VT2, soutenue par les fantassins de la GS, se réduit à chercher
ce type de victoire.
Le cas
du massacre de Sabra et Chatila est exemplaire. L'Etat israélien a reconnu
et (un peu) sanctionné le forfait. Voilà la différence entre une démocratie
et une dictature. La démocratie massacre aussi et le dit. Avec quel
effet? Epuration de l'Etat, renforcement du système dans sa totalité.
Que signifie
lutter pour la reconnaissance du droit à ouvrir un débat? Pousser l'opinion
publique, faire ce que fera un jour l'opinion. Demain peut - être, il
sera admis qu'il n'y avait pas de chambres à gaz dans les camps de concentration
nazie. Une telle révision renforcera la confiance dans le sérieux des
recherches historiques et dans les vertus éternelles de la démocratie.
La " mise en scène par laquelle le monde moderne se sert de la misère
et de l'horreur qu'il produit pour se défendre contre la critique réelle
de cette misère et de cette horreur " , cette mise en scène n'aura nullement
changé parce qu'on aura retiré un élément de son décor !
En 1949,
il était essentiel que S. ou B. affirme que la Russie était un pays
capitaliste. Trente ans après, cette opinion est largement répandue,
jusque chez des gens qui n'en tirent pas de conclusion révolutionnaire.
Mais pour que les choses soient aujourd'hui plus claires, jusque dans
la tête des révolutionnaires, il fallait le dire, à contre - courant,
en 1949. C'est une question fondamentale que la nature d'un régime sous
lequel vivent des milliards d'êtres. Rien de tel dans la question des
chambres à gaz, produit typique du monde de l'idéologie et de l'information.
On peut poser des questions subversives à partir de la nature de l'URSS.
Il n'y a, dans la question de l'existence des chambres à gaz, que la
question de l'existence des chambres à gaz.
L'ultra-gauche
Nous avons
dit n'avoir rien à ajouter ou à modifier au discours d'une gauche qui
chaque jour nous prouve par ses actes et ses idées qu'elle travaille
à la conservation du capitalisme. La bourgeoisie essaie de faire participer
les salariés à son effort pour sortir de la crise. Giscard le tentait
par la démagogie (revalorisation du travail manuel), Mitterrand associe
directement les représentants du travail à la gestion de la crise. Mais
attaquer sans cesse les partis de gauche et les syndicats en faisant
comme s'ils " révélaient " à tout bout de champ leur fonction antirévolutionnaire,
c'est réduire la critique à la dénonciation d'un scandale, en oubliant
de dire de quoi le prétendu scandale est le produit. Une telle attitude
interdit la compréhension en profondeur de ce qu'est la gauche.
Le mouvement
révolutionnaire n'a rien non plus de commun avec le gauchisme qui se
consacre à soutenir. Que n'a - t - il pas soutenu, des luttes ouvrières
à Mitterrand en passant par Mao... Les révolutionnaires n'ont rien à
soutenir. Quand une lutte a un contenu universel, ils savent trouver
un langage commun avec ceux qui la mènent, et l'activité des révolutionnaires
prolonge naturellement la lutte dans laquelle ils se reconnaissent.
Mais dans nos rangs, L 'an tigauchisme répandu à longueurs de pages
a trop servi de moyen commode pour ne pas aborder de front l'examen
de la situation du prolétariat aujourd'hui. Le gauchisme fait du PC
et des syndicats l'écran entre les masses et lui. Les révolutionnaires
n'ont pas à l'imiter en faisant du gauchisme l'arme ultime du capital
qu'il faudrait inlassablement dénoncer.
La dénonciation
permanente est fascinée par l'objet à critiquer. Elle prouve qu'on est
vaincu par ce qu'on attaque le plus.
La critique
de la gauche n'a pas de sens si elle la dénonce au jour le jour, ou
même s'en prend à un gouvernement. Comprendre le Front Populaire, le
molletisme, le mitterandisme... c'est d'une part comprendre la canalisation
de conflits sociaux vers des objectifs capitalistes et étatiques; et
d'autre part remonter à la source des idées de gauche, invariantes dans
leur essence, comme l'avait fait autrefois Programme Communiste dans
une série d'articles sur le mouvement ouvrier français . Les positions
de la gauche contemporaine fran çaise sont dans Hugo, Zola, Jaurès,
etc. Puisqu'on parle de la lutte sur le plan des idées, mieux vaudrait
montrer par exemple dans Les Misérables l'intégration morale des travailleurs
par le capitalisme, que de relever triomphalement la nième déclaration
" scandaleuse " du PC. Il suffit de voir ce que le peuple de gauche
enseigne et voudrait qu'on enseigne toujours plus dans les écoles: la
reconnaissance du travail par le capital.
Des groupes
comme le PCI ou le CCI sont des sectes parce qu'en dépit de tout ce
qu'ils peuvent dire ou faire de positif, leur existence se résume à
une démarcation continuelle face au reste du monde. Ils exhortent le
prolétariat à se constituer en classe. Leur principal adversaire sera
toujours le groupe le plus proche. Ils vivent dans et par la concurrence.
Dans leur vie d'organisations seules leurs crises sont positives: par
exemple, celle qui conduisit au départ de Bérard de RI - CCI en 1974
pour former Une Tendance Communiste, ou celle du PCI aujourd'hui.
" La secte
trouve sa raison d'être dans son point d'honneur, elle ne le cherche
pas dans ce qu'elle a de commun avec le mouvement de classe, mais dans
un signe particulier qui la distingue de ce mouvement (...) " (Marx,
lettre à Schweitzer, 13 octobre 1868.)
Sans être
autant enfermée dans la politique, l'ultra - gauche a mal compris la
critique adressée autrefois par la VT à PO. Un journal comme Révolution
sociale, au sens strict est sans public. Il vient d'ailleurs de le reconnaître
en cessant de paraître. Un tel journal n'ajoute rien à la force de travail
révolutionnaire, car il n'aborde les questions de fond que par le biais
de l'actualité. Et il ne peut toucher l'ensemble des prolétaires tant
soit peu en rupture avec la société, bien qu'il soit fait comme s'il
devait être lu par cent mille d'entre eux. Il n'y a là ni théorie satisfaisante,
ni action qui fasse avancer le mouvement.
Ces groupes
vivent dans l'illusion de la propagande. Le mouvement révolutionnaire
ne transforme pas les idées fausses en idées vraies. Il expose le sens
du mouvement social dont il fait partie, et ce que ce mouvement sera
" historiquement contraint " de faire pour réussir. Ce qui exclut toute
exhortation.
La publication
de textes ne fait pas seulement circuler des idées. C'est même sa fonction
secondaire. La diffusion d'idées noue des liens pour autre chose qu'une
réflexion. Mais cette " socialisation " est d'autant plus riche que
le contenu théorique diffusé est moins étriqué.
Le mouvement
révolutionnaire est pris entre deux tendances qu'il lui faudra dépasser.
Les uns remettent leur montre à l'heure, jetant un regard rétrospectif
sur 150 ans de capital, de classe ouvrière et de révolution. On conclut
à la nécessité d'un dépassement. Le bilan se termine par un " Socialisme
ou Barbarie " , que l'on soit en 1914, en 1917, en 1945 ou en 1983.
Les autres,
plus classiques, décrivent toujours un mouvement en train de se faire.
Portugal, Pologne... chaque cas montre les limites du prolétariat et
ce qu'il pourrait faire si... On appelle à faire en mieux ce qui a déjà
été fait.
La première
attitude coupe le passé du présent. Elle pose un passé radicalement
différent du présent. La seconde répète ce qu'elle a toujours dit. La
première opère une coupure historique. La seconde a une vision quantitative:
comme avant, mais plus loin. La première coupe la filiation, la seconde
la reconnaît ou la réclame. C'est l'opposition fondateurs - héritiers.
Ces deux tendances trouvent chacune une illustration dans deux ouvrages
révolutionnaires récents.
En finir
avec le travail et son monde , du CRCRE (n· 1, juin 1982, n·2, décembre
1982), exprime bien la première attitude. Un grand nombre de remarques
en elles - mêmes justes expliquent et justifient tout. Les échecs passés
avaient des causes aujourd'hui disparues. C'est un a posteriori. On
n'admet pas d'erreurs (pour soi, pour nous), passées ou présentes. Tout
devait arriver. On s'enlève à soi - même le sens de son action. Création
d' " un nouveau système de référence " , d'une vision du monde. On n'est
pas loin de la philosophie.
Pologne,
1980 - 82, d'Henri Simon (Spartacus, 1982), incarne la deuxième
tendance. Il analyse au plus près le mouvement polonais, ce qui fait
son grand intérêt, mais cela ne l'empêche pas de confondre la pression
exercée par le travail sur le capital avec la remise en cause du rapport
travail - capital. On ne peut se contenter de dire: " chaque lutte n'est
qu'une étape, tant que subsiste le capital" (p. 30). C'est vrai, mais
toute lutte n'est pas une étape vers l'action communiste.
Pour Simon,
" Faire les choses (...) pour que le travail et la vie soient plus faciles,
c'est agir selon son seul intérêt de classe, c'est détruire la base
de l 'ordre capitaliste (...) (pp. 56 - 57).
Cette phrase
résume ce qui ne doit plus aller de soi dans notre mouvement. L' " action
de classe " ne se confond pas avec la revendication, elle n'est pas
non plus son contraire, elle ne l'exclut pas. Elle naît par et contre
elle, elle est son dépassement.
L'ouvrage
de Simon reproduit également l'erreur ultra - gauche reprise par l'IS:
" Et, de fait, tout en restant en place, tout en conservant intact (apparemment)
son appareil répressif, le capital a pratiquement perdu tout pouvoir
réel: même le nouveau syndicat Solidarité (...) est déjà, avant de fonctionner
[comme "nouvel appareil de domination sur les travailleurs"] réduit
au même rôle que les appareils existants avant juillet 1980. " (p. 59).
Les révolutionnaires
ont du mal à prendre le capital au sérieux, et à voir sa force là où
elle est: dans son dynamisme comme dans sa force d'inertie. Le " pouvoir
réel " du capital est bien dans ces deux composantes, comme on a pu
le voir en France en 1968 et en Pologne en 1980. Pourtant 1980 ferme
une porte (il y en a d'autres) ouverte en 1968 en France et en 1970
en Pologne. Parce que justement la révolution n'est pas une affaire
de pouvoir. Le pouvoir découle des rapports de production, de la nature
du capital comme relation omniprésente. Tant qu'on ne s'en prend pas
à lui en tant que rapport social, par des atteintes à la marchandise,
au salariat, tant qu'on se borne à occuper le terrain (France, 1968)
ou à vouloir organiser mieux l'économie, de fac,on sauvage, certes,
mais sans communisation (Pologne, 1980 - 81), on n'entame pas le pouvoir
du capital. La force de celui - ci n'est ni dans la rue ni dans l'usine,
et encore moins dans les ministères. Le capital est un rapport social
qui s'incarne dans un réseau de relations. Commencer de produire un
autre rapport en constituant un autre tissu social, c'est cela s'attaquer
au pouvoir du capital.
Henri Simon
renouvelle l' erreur commise (notamment par l'IS: cf. l a GS, n·2) à
propos du Portugal en 1974 - 75:
" Pendant
18 mois, la Pologne n'était plus réellement un Etat -- son autorité
était constamment bafouée et l'économie semblait aller à la dérive.
" (p. 93).
L'Etat
était bien là pourtant, en sommeil. Il a prouvé le 13 décembre 1981
qu'il pouvait se réveiller le moment venu, toutes ses forces intactes.
Car celles du capital n'avaient pas été entam é es.
La pratique
prolétaire ne s'attaque pas à la racine. Et il en est de même de la
théorie communiste.
Perspectives
...
Le protectionnisme
ne semble pas une issue possible à la crise, l 'économie s'étant beaucoup
trop internationalisée durant les trente dernières années. Le tiers
- monde s'est superficiellement industrialisé mais profondément urbanisé.
Il n'est pas rare que la moitié de la population des pays sous - développés
habite dans les villes ou leur périphérie. La classe ouvrière y est
plus organisée qu'on ne l'imagine. Près de 40% des travailleurs boliviens
sont syndiqués. L'Union Marocaine du Travail comptait jusqu'à 20% de
la population active en 1956. Mais les émeutes prolétariennes comme
celle de 1971 en Egypte, écrasée par l'armée, se conjuguent rarement
avec les mouvements du travail. Ainsi, durant les troubles de juin 1981
à Casablanca, l 'initiative de l 'action revint aux l ycéens et aux
chômeurs.
Toutes
les formes d'action salariale s'internationalisent. L'usine tha i landaise
de jeans Hara a été occupée et remise en marche par les ouvriers. La
zone franche de Batan, aux Philippines, a été secouée en 1982 par la
grève d'ouvriers surexploités (chômage partiel, horaires démesurés,
salaire correspondant littéralement à un minimum de survie). Au départ,
une entreprise multinationale voulait forcer 200 ouvriers à travailler
chacun sur 6 métiers à tisser au lieu de 4. 10 . 000 grévistes soutinrent
les 200 rebelles. Un syndicat fondé en 1980, le KMU, participait au
mouvement. La répression s'attira une réplique si massive que le mouvement
n'était plus réprimable, à moins d'un massacre général, en tirant dans
le tas comme sur la Léna dans la Russie tsariste du début du siècle.
La bourgeoisie
renonça aux arrestations et aux licenciements mais les ouvriers ne gagnèrent
pas non plus. Ils devront manier désormais chacun 5 métiers. L'avenir
dira ce qu'il demeure dans l'expérience prolétarienne de cette grève,
et ce que deviendra le KMU.
Après la
grève, l 'une des ripostes envisagées par les patrons de Batan fut l'automatisation.
Après les grandes grèves d'OS et les actions des Turcs dans l'usine
et dans la rue, dans les années 70, le capital allemand a répliqué par
des expulsions et la modernisation. BMW a poussé la robotisation très
loin. Volkswagen est en RFA le premier constructeur et utilisateur de
robots. La tendance est à une diminution du rôle des OS, peut - être
à leur effacement comme couche à l'avant - garde des prolétaires.
Personne
ne connaît les formes vers lesquelles peut évoluer le capitalisme, qui
a revêtu dans l'histoire les aspects les plus hybrides. Le " second
servage " en Eur ope orientale (à partir du XVIIe siècle) n'était pas
un retour au Moyen Age. Les propriétaires de ces nouveaux serfs n'étaient
pas des capitalistes, puisqu'ils ne se préoccupaient pas de produire
au moindre coût de travail. Mais ils faisaient partie d'un système marchand
et capitaliste. Ils n'ont réussi qu'en étouffant à leur profit, dans
leurs grandes unités, l 'économie de marché déjà florissante. Ces monopoles
étaient au service d'un système international indiscutablement capitaliste.
Aujourd'hui
encore, le capitalisme, société de la valeur en mouvement, fait preuve
d'une grande souplesse de forme et retrouve des structures anciennes.
" Dans
les premières usines comme dans certaines usines aujourd'hui, ce travail
en groupe, dans lequel les ouvriers qualifiés et man oe uvres sont attelés
à la tâche commune, ne disparaît pas à tous les coups: le patron paie
le revenu global de travail et les ouvriers l'organisent à leur guise
;...). Une grande liberté pour une paie de misère. " ( Les
Temps Modernes, février 1981, pp. 1355 - 1356).
Dans la
confection française, en 1970 - 75, on installe des chaînes à poste
fixe. En 19? 7- 76, on expérimente le " module " , auto - organisation
partielle avec rotation entre les postes. Après 1976, avec la crise,
les normes augmentent, on met en place des groupes qui ont même la possibilité
de s'organiser à l'extérieur de l'usine. On revient ainsi à une forme
de tâcheronnat antérieure à l'OST. Les groupes sont mis en concurrence,
ce qui transforme chacun en capital - travail autogéré, forme d'organisation
qui ressemble à celle des 20 . 000 Turcs et Yougoslaves clandestins
de la région parisienne.
Le développement
du capital ne se traduit pas nécessairement par le développement des
formes capitalistes les plus modernes. Le colonialisme a engendré des
formes régressives; castes aux Indes, propriété privée empêchant la
transformation de la rente foncière en capital, péonisation en Amérique
Latine. Le capitalisme a réintroduit des variantes du servage ou de
l'esclavage. Le travail libre s'est mêlé au travail forcé. En Italie,
le travail à domicile progresse depuis une dizaine d'années. Il emploierait
entre 1 et 2,5 millions de personnes, suivant les sources.
Hormis
dans un avenir lointain (et encore), la société vers laquelle nous nous
dirigeons ne sera pas entièrement robotisée et sans travail humain.
Mais la proportion de travailleurs dans la population va peut - être
considérablement diminuer, tandis que grossira la masse de chômeurs,
recyclés, formés, etc.
Au lieu
d'une improbable usine presse - bouton, on va vers des portions entières
de l'entreprise robotisées, les autres restant semi ou peu automatisées.
Dans une même opération, coexistent robots et OS moins nombreux. Pour
souder un support - avant de moteur, au lieu de 4 soudeurs OS et 2 OS
chargés de mettre et enlever les pièces, on a 4 robots soudeurs et les
2 OS alimentant toujours l'opération à effectuer. Dans la mécanique,
on envisage de garder les man oe uvres (nettoyage...), d'automatiser
là où sont les OS (chargement, manutention, assemblage surtout, usinage),
et de garder les OP (rectification, ajustage). A Flins, dans les chaînes
de soudure de carrosserie de R 18 automatisées en 1979, on a perdu 56
OS et gagné 24 emplois d'entretien, contrôle, retouchage. A Renault
- Douai, la tendance est encore accentuée. Peugeot qui a déjà 300 robots
installés prévoit d'en mettre 2 000 en service d'ici 1990.
Une étude
universitaire de 1978 annonçait qu'en 1985, 20% de la main - d' oe uvre
de l'assemblage automobile aux Etats - Unis serait remplacée par des
Machines Automatiques; en 1989, 20% de tous les emplois industriels
américains seraient remodelés. Selon une autre prévision établie en
1979, I'automatisation supprimera en France 200 000 emplois d'ici 1985,
y compris dans les bureaux (Conception Assistée par Ordinateur, Machine
Automatique de lecture et traitement de texte, transfert électronique
de fonds, machine à écrire à mémoire, télécopie). Selon cette même étude,
50 000 emplois seraient perdus en France à cause de la robotisation.
La maîtrise aussi sera touchée par le " rétrécissement de la structure
hiérarchique classique " (Le Quément, p. 191). La robotisation concerne
déjà des ateliers dans l'automobile, les forges et fonderies, la production
de gros engins, l'électro - ménager, l 'aéronautique .
La bourgeoisie
et l' Etat des pays industrialisés voudraient compenser les effets de
cette chute de l'emploi par une tertiarisation accrue (mais les services
aussi seront atteints), et un rapatriement d'industries auparavant délocalisées
dans le tiers monde afin d'y profiter de bas salaires et de conditions
de travail plus favorables. Cette reindustrialisation des métropoles
capitalistes, déjà amorcée aux Etats - Unis (construction électrique,
appareillage électronique), est rendue possible puisque les robots sont
moins chers et encore plus sûrs que la main - d' oe uvre exotique. Mais
rien n'empêchera les multinationales d'implanter des robots dans le
tiers monde si elles le jugent rentable.
C'est donc
bien une profonde modification de la population active et de la vie
sociale des vieux pays industrialisés qui s'amorce sous nos yeux. Il
pourra y avoir changement dans le temps de travail. Nous avons dit dans
l'article sur la Pologne qu'en France les 35 heures ne mobilisaient
pas les salariés. Or il y eut un puissant mouvement pour les 35 heures
dans la métallurgie allemande en 1978. Il reste l'exception dans un
contexte global où les revendications intermédiaires sont planifiées
par le capital (et les syndicats là où ils sont assez forts pour s'imposer
dans la gestion capitaliste). On évoque avec optimisme la perspective
d'une 4 Day Week (semaine de 4 jours de 8 h) aux Etats - Unis, avec
participation salariale à la réorganisation du travail. Sur ce dernier
point, au moins, il n'y a pas de progrès capitaliste: on reste où on
en était en 1930 ou 1950.II n'y a pour ainsi dire aucune participation
ouvrière (sauf en période de conflit, où elle sert à dévier la lutte
sur le plan auto -- ou co -gestionnaire) . Le salarié se méfie de ce
droit à participer à la marche de l'entreprise: il continue à réclamer
avant tout plus d'argent et moins de travail. Seul le délégué syndical
s'escrime à déchiffrer la comptabilité qu'ont bien voulu lui présenter
les patrons.
De toute
façon , la semaine de 4 jours ne serait pas un " acquis prolétarien
" . La journée de 10 h et la suppression du travail des enfants, conquises
en Angleterre au XlX e siècle, servaient aussi le capital le plus moderne,
introduisant des machines pour économiser du travail. La journée de
8 h obtenue après 1918 allait aussi dans le sens de la généralisation
de la plus - value relative et de l'OST. La réduction en cours du travail
serait une concession et une cohérence capitalistes, payées d'une main
mise renforcée sur toute notre vie. La bourgeoisie française, elle,
résiste, parce qu'elle se sait plus faible que ses rivales.
Au chômage
apporté par la crise, s'ajoutera celui provoqué par la restructuration.
La robotisation comporte de telles réserves de productivité que, même
une demande et des débouchés accrus ne déclencheront pas une embauche
correspondante. Cela n'empêchera pas de réduire l'horaire de travail
de ceux qui ont un emploi, mais il n'y aura pas ou presque pas de partage
du temps de travail socialement disponible. La CFDT gardera pour elle
son utopie réformatrice.
Pour le
moment, en attendant la réorganisation industrielle lente à se mettre
en place, deux projets combinés visent à maîtriser la marge dangereuse
qui rue dans les brancards. Le premier projet est dualiste. Il juxtapose
un secteur moderne et un secteur plus traditionnel au " mode de vie
plus convivial et plus classique " capable d' " amortir les coups "
(rapport pour le Vllle Plan fran ç ais, sous Giscard). On multiplierait
les institutions gérant les laissés pour compte de la croissance: jeunes,
migrants, handicapés, vieux, enfants " à risque " . Ce projet suppose
une économie ouverte, libérale, sacrifiant certaines couches pour les
secourir ensuite.
Le second
projet intègre les couches et groupes dangereux. Il accompagne une stratégie
économique étatiste, plus protectionniste, avec participation des salariés
à la marche de l'Etat par le truchement des syndicats et partis de gauche.
La première
solution divise franchement la société entre ceux qui s'en sortent et
les autres. La seconde prétend réconcilier tout le monde, du patron
à l'immigré. Dans les deux cas, il faut gérer une forte minorité instable.
Etat - gendarme et Etat - pr ovidence, Workfare State et Welf are State.
De même,
face aux convulsions du tiers monde, les bourgeoisies des pays développés
conduisent deux politiques qui s'entremêlent: industrialiser et aider
ces pays en promouvant des classes dirigeantes modernes ou ne les industrialiser
qu'à peine, au degré minimum nécessaire à l'expansion occidentale et
japonaise, en consolidant les classes dirigeantes archa i ques et compradores.
La seconde tendance l'emporte parce qu'elle correspond mieux à la réalité.
Elle répond plus aux intérêts du capital mondial, car la droite gère
mieux le capitalisme. La première stratégie est celle de l'Internationale
socialiste, employée avec succès dans le Portugal " révolutionnaire
" en 1974 - 75, et reprise par le gouvernement français actuel, en particulier
en Amérique centrale. Elle est moins applicable, car elle suppose que
les sociétés peu industrialisées soient capables de maîtriser leurs
contradictions et d'accéder à la démocratie. Or la démocratie implique
un équilibre social qui n'existe nulle part dans le tiers monde. Le
" dialogue Nord - Sud " et les droits de l'homme, dans leur version
libérale ou social - démocrate, resteront de l'idéologie destinée à
résorber les tensions. Reagan massacre et Mitterrand déplore les massacres,
ce qui est une façon de plus d'empêcher le sursaut qui mettra fin aux
massacres.
Nous n'avons
pas à étudier à la loupe les conflits sociaux. L'histoire passée et
présente montre tout: la prodigieuse capacité du capital à digérer les
contestations, comme celle du mouvement social (parfois communiste)
d'en susciter toujours de nouvelles. Tout est en crise, et tout continue.
Partout,
la force d'endiguement par excellence de la révolution, la médiation
entre travail et capital, est ébranlée. Le Labour Party a du mal à conserver
les voix ouvrières. Le SPD perd des adhérents et des électeurs ouvriers.
Aux E. - U., les syndicats n'ont progressé que dans l'administration,
ils sont faibles dans les services, dont la part augmente dans l'économie.
(Mc Donald's a plus d'employés qu'US Steel.) L'AFL - CIO n'a pas réussi
à limiter les importations et perd du terrain au parti démocrate. Elle
est mal implantée dans les nouvelles zones de développement, le sud
et le sud - ouest.
Le retour
du PCF au gouvernement n'émeut personne, ni en France, ni ailleurs.
Les étatsuniens n'ont pas lancé de campagne de presse mondiale contre
le " danger communiste " en France. L'opinion conservatrice joue à se
faire peur mais elle se force et personne n'attend sérieusement un changement
profond de la venue de la gauche au pouvoir. Les militants eux - mêmes
y voient surtout un tremplin pour faire quelque chose plus tard puisque
pour eux tout se ramène toujours à créer les bases du vrai changement
sans cesse en préparation pour demain matin. L'enthousiasme de mai 81
n'infirme pas la perte de représentation de la gauche. Dans la démocratie
moderne, tous les programmes se ressemblent, chaque parti vit par la
représentation qu'il donne de lui - même. Si son programme cesse d'apparaître
suffisamment différent des autres, il n'a plus de programme. La gauche
a plus d'électeurs qu'en 1960, mais elle a autant de mal à présenter
une image différente de celle de la droite. En 1981, les salariés n'ont
pas voté pour les nationalisations, mais contre les effets de la crise.
La social
- démocratie et les PC vivent de la force vitale que leur donnent les
prolétaires et qu ' ils leur retirent. La CFDT incarne le réformisme
lucide et impossible au milieu de cett e gauche vampirique et exsangue
-- politiquement, car sur le plan directement social la gauche aussi
se nourrit des luttes limitées des travailleurs. La CGT est à court
terme plus conservatrice que sa rivale, elle représente mieux le travail
industriel, aux dépens même de l'ensemble du capital. La CFDT, elle,
pose le problème du capital total. Elle n'est pourtant pas la centrale
des techniciens et du tertiaire: sa principale fédération est celle
de la métallurgie. Elle cherche les moyens d'assurer les conditions
normales du salariat en France, tout en préservant la stabilité mondiale.
D'où ses interventions dans le tiers monde et à l'Est. Le PCF et la
CGT, n'ont d'intérêt à long terme que dans une conquête de l' Etat et
dans une union avec le capitalisme d'Etat oriental. Ce qui n'est plus
le cas du PC italien.
Le déclin
de la CGT aux élections professionnelles et surtout le relâchement de
son emprise sur l'activité contestaire des ouvriers, ne l'empêchent
pas de tenir bon. L'usure générale des forces et des solutions de la
gauche, accélérée ou non par sa présence au gouvernement, est un phénomène
profond, dont on mesurera toute l 'ampleur lorsqu'il s'étalera à la
surface. L'effritement interne réserve des surprises. Ses effets seront
bien plus violents qu'en 1968. On ne peut évaluer la portée d'un mouvement
futur à la lumière des phénomènes visibles actuellement.
Les fondements
de toutes les institutions sont minées. Il demeure toutefois ce qui
n'est pas une institution, bien qu'ayant aussi une existence formelle:
la démocratie. Grâce à elle, la minorité dirigeante à la tête de tous
les appareils antir - évolutionnaires (armée, police, pa tronat, syndicats,
partis, etc.) tentera de jouer sur l'inertie de la majorité silencieuse
contre la minorité souvent réduite au silence aujourd'hui.
La démocratie
parlementaire, syndicale, etc., est déconsidérée. La démocratie comme
mode de relations sociales ne l'est pas, parce qu'elle correspond à
la société capitaliste. L'homme capitalisé entre en relation avec le
monde par des besoins qu'il satisfait (sur le marché}. La démocratie
répond à un besoin, comme l'argent, et offre la même liberté illusoire.
Le salarié est libre d'employer son salaire à acheter ce qu'il veut.
La démocratie lui offre aussi un choix aussi limité que ce que lui offre
un rayon de supermarché. Mais l'illusion du choix n'empêche ni la réalité
du besoin, ni sa satisfaction discutable mais effective. Après tout,
il y a bel et bien une différence entre Coca Cola et Pepsi Cola. Entre
d'une part la liberté démocratique et la démocratie comme aspiration
et d'autre part la liberté du travail et de l'échange et la dépense
de l'argent comme plaisir, il existe une correspondance, une parenté
structurelle qui ne relève pas de la psychologie, mais découle de la
façon dont les hommes et les choses entrent en relation sous le capitalisme.
Aussi bien,
le repli actuel de l' extrême - gauchisme, le manque d'intérêt pour
la " révolution " , l 'élection de Reagan, le " retour au conformisme
chez les jeunes " , et autres phénomènes relevant d'une sphère secondaire
et grossie par la mode -- ce n'est pas là ce qui nous tracasse. La situation
peut se retourner très vite. Le problème est bien plutôt dans la tendance
séculaire du prolétariat à se soulever sans constituer autrement qu'à
l'état d'embryon " le mouvement qui abolit les conditions d'existence
" . Il apparaîtra peut - être que c'était là une fausse question à poser
autrement. Le minimum aujourd'hui est de ne pas l'éluder, car elle retombera
sur la tête de ceux qui ne se la posent pas.
Le laminage
auquel est soumise la minorité à ambition révolutionnaire n'a rien d'exceptionnel.
Après 1914 - 18, elle a dû faire la découverte de ce que la totalité
du mouvement ouvrier servait le capital, y compris les organisations
" communistes " de l'IC. Le passage de la révolution russe à la contre
- révolution et la liquidation de toute perspective révolutionnaire
par le stalinisme furent aussi difficiles à avaler. Après avoir dénoncé
la toute puissance du mouvement ouvrier, on le vit s'effondrer dans
le pays où il était le plus fort, cédant sans résistance devant un mouvement
ouvertement réactionnaire qui avait su se donner une base populaire.
La capacité
du capital à faire la guerre de 1939 - 45 sans rencontrer de résistance
ouvrière, et la réussite de la reconstruction qui se fit sans trop de
remous furent encore une mauvaise surprise. Une autre réalité paraît
aujourd'hui aussi dure à avaler: la non constitution d'un mouvement
organisé et en tout cas cohérent, et l'absence même de liens durables
comme on aurait pu croire qu'il s'en tisserait après 68. Cette absence
d'un embryon de mouvement cohérent est d'autant plus difficile à saisir
qu'on constate un saut qualitatif dans la saisie théorique du communisme
et de la révolution.
Entre les
groupes de révolutionnaires organisés et les noyaux de prolétaires radicaux
, peu nombreux mais capables d' intervenir dans leur milieu, il n'existe
pratiquement pas de relations durables. Depuis 1972 environ, les groupes
de révolutionnaires sont surtout des éditeurs. Presque toute leur action
consiste à diffuser de la théorie, qu'elle passe par un tract ou par
une revue. Les communistes n'ont pas à soutenir une action sociale.
Ils en font partie et la renforcent ou bien les circonstances les en
tiennent éloignés. Le soutien poserait une fois encore les révolutionnaires
comme " extérieurs " à un milieu où ils devraient " pénétrer " . Mais
faire de la théorie est actuellement une activité plus coupée de la
vie sociale qu'en 1968 - 72, parce que cette vie sociale est elle -
même encore plus séparée, compartimentée, coupée de ses propres racines.
Les prolétaires,
et en particulier les prolétaires ouvriers, n'ont perdu ni leur importance
numérique, ni leur rôle central dans l'action révolutionnaire. Même
dans les pays développés, le salariat ne s'incarnera jamais uniquement
dans le tertiaire (de même que tous les ouvriers ne sont pas devenus
OS). Qui est au c oeur de la société? Les ouvriers d'usine, mais aussi
ceux des communications, des compagnies de distribution d'électricité
(EDF en France) et d'eau, les employés des hôpitaux, etc. Qu'ils s'arrêtent
et tout s'arrête. Ils peuvent bloquer la société et la faire éclater
de l'intérieur.
Au point
d'arrivée des quinze années de cette histoire qui est aussi la nôtre
se présente une situation bien différente de celle de 1968. Une mutation
ne parvient pas à se faire. Une société qui repose encore sur le travail
salarié est contrainte de le modifier et d'exclure une partie des travailleurs.
Toute la question est de savoir si l'intervention du prolétariat dans
cette mutation sera l'occasion d'un assaut révolutionnaire.
La force
du capital est telle que certains en sont venus à ne voir dans sa société,
donc aussi chez les prolétaires, que du capitalisme, et à relire toute
l'histoire des 150 dernières années y compris les assauts prolétariens
comme une série de mutations capitalistes. Ceux - là ne font que prendre
le contre - pied d'une manie fréquente à l'extrême - gauche qui interprète
tout comme une étape vers la révolution. Il n'y a pas de sujet unique
de l'histoire. Ni le développement des forces productives, ni la quête
de la communauté, ni le capital ni le prolétariat ne sont le moteur
de l'évolution. Le mouvement historique n'est pas une suite d'adaptations
du capital ou de luttes prolétariennes mais une totalité englobant le
tout. La société capitaliste vit de la relation contradictoire capital
- travail, elle peut aussi en mourir. L'un pousse l'autre à agir et
réciproquement. Les crises sont le moment où l'unité est remise en cause,
avant de se renforcer si la crise n'a pas d'issue communiste. La révolution
est la solution de la contradiction. Mais penser à l'avance que la prochaine
grande crise sociale sera résolue au profit du capital, c'est raisonner
sur le modèle du capital, parler à sa place.
Ce qui
nous laisse espérer et nous encourage à agir, c'est une réalité complexe
daris laquelle, forcément, I'aspect capitaliste domine pour le moment.
L'effritement des valeurs, la déval uation des idéologies n'épargne
rien. Le " refus du travail " est une réalité polyvalente, signe de
quelque chose de neuf à la fois pour le capital et pour le communisme.
Ce quelque chose de neuf concerne l'évolution du travail. La " nouvelle
vague sociale " s'incarne dans les diverses variétés de détournement
et de rejet du travail, mais aussi dans le travail clandestin, au noir,
dans le partage des emplois, le double emploi, le travail à domicile,
temporaire, sous - traité, etc. Tout cela est assez ancien mais se renouvelle
dans la crise et la restructuration.
On " ne
croit plus " au travail, mais cette désaffection spectaculairement affichée
compte moins que le fait latent: la vieille critique de l'organisa ti
on du travail se mélange avec celle de son fondement. La première est
le fait de prolétaires qui veulent récupérer leur travail et le travail
salarié avec. La seconde sort du travail, le considère comme une prison
pour l'homme. La première vise à réorganiser l'acte productif dont la
logique échappe au prolétaire -- et qui, même réorganisée lui échappera
encore. La seconde vise à détruire les entraves que cet acte productif
représente pour l'activité humaine qu'il enferme. Laquelle de ces deux
critiques l'emportera ?
L'affirmation
positive du communisme ne consiste pas à remplacer la théorie par la
vie. Des textes comme Un monde sans argent ou Pour un monde sans morale
considèrent l'origine des problèmes posés à l'humanité par le capitalisme
et montrent non seulement comment ils pourraient être résolus, mais
quels bouleversements supposeraient et entraîneraient leur solution.
Alors " le négatif inclut vraiment le positif " (Marx}. Jusqu'ici le
positif restait abstrait, se construisait ailleurs (utopie). L'urgence
pratique, apparue un e première fois au début du XIXe siècle, resurgit.
D'ores et déjà certaines formules sonnent faux. Parler de " dictature
du prolétariat " ou même d' " abolition du salariat " sans se référer
au processus de la révolution communiste, c'est manier des slogans,
copier le gauchisme.
Elargir
l'horizon théorique, ce serait tenter une critique unitaire, non privilégier
le passé aux dépens du présent, l'Orient aux dépens de l'Occident. L'arc
historique du capitalisme industriel, caractérisé par l ' émergence
du mouvement ouvrier classique puis sa disparition (soit de 1789 ou
1848 jusqu'à nos jours) recouvre une réalité humaine trop restreinte
pour nous permettre à elle seule de saisir non seulement ce qu'est la
révoluti on communiste, mais même ce qui s'est passé depuis 1789 ou
1848. Nul besoin de se plonger dans le zen pour reconnaître que la théorie
révolutionnaire est restée trop européo - centriste et trop liée à la
période 1848 - 1914.
La critique
unitaire concerne le temps comme l'espace. Le mouvement ouvrier traditionnel
avait besoin de héros, il traitait le passé sur le mode mythique: les
fondateurs (Marx ou Bakounine), les barricades, le mur des fédérés,
le martyrologe... Le mouvement révolutionnaire après 1917 n'a guère
pu ni voulu rompre avec cette mythologie. Il était trop faible pour
ne tirer sa force imaginaire que de lui - même. Puis la gauche communiste
et les libertaires ont maintenu la mythologie en croyant opposer les
vrais moments révolutionnaires à la contre - révolution qui triomphait
sous le masque du socialisme et du communisme. Enfin la reprise radicale
depuis 1968 (en particulier dans l 'IS) a eu largement tendance à contrer
le stalinisme et le gauchisme à l'aide de mythes antibureaucratiques,
sans doute inévitables dans un premier temps, mais qu'il faudra bien
dépasser ensuite: 1871, Makhno, Barcelone en 1936, etc. Le regard porté
généralement sur ces événements en fait une critique plus quantitative
que qualitative, comme si les prolétaires n'auraient eu qu'à continuer
tout droit au lieu de s'arrêter. En fait, le chemin lui - même était
miné. La tentation de tout réinterpréter comme moment d'adaptation du
capital se contente de prendre les légendes ultra - gauche à l' envers.
Traitons le passé pour ce qu'il fut et non pour nous exalter à seule
fin de combler illusoirement les lacunes présentes. L'un des signes
de renaissance d'un mouvement communiste sera le dépérissement de toute
mythologie, parce qu'il n'en aura plus besoin.