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La Vieille Taupe 2 et l'affaire Faurisson
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Les textes du Monde Diplomatique pirate présentaient un défaut dont on n'aperçut que plus tard les implications. Bien qu'il affirmât à plusieurs reprises que la question importait peu, bien qu'il centrât sa critique sur le consensus spectaculaire et démocratique, le faux MD tranchait la question de savoir si Baader avait été tué ou s'était tué: il lui paraissait que la vérité était, à n'en pas douter, littéralement l'inverse de ce que racontaient les médias, qu'il était extrêmement vraisemblable que les enfermés de Stammheim avaient été tués par d'autres qu'eux-mêmes .

Paradoxe d'un faux visant une vérité! C'était une erreur de s'attarder sur la vérité "littérale". De même que la "vérité" de notre Monde Diplomatique n'était pas son titre pourtant écrit noir sur blanc, de même la vérité de la mort de Baader n'était pas l'identité du doigt qui appuya sur la gâchette du pistolet. Il est littéralement vrai que ce doigt a dû pourtant bien posséder une identité, et pas une autre. De même, il est sûrement vrai que les chambres à gaz ont dû exister -- ou non. Mais pour un révolutionnaire, l'identité du doigt qui a tué Baader, de même que l'existence ou la non-existence des chambres à gaz ne sont que des vérités dépourvues de sens, aussi utiles que le couteau sans lame auquel manque le manche. Ce fut pourtant le problème de cette vérité-là qui déchira un peu plus un courant révolutionnaire français déjà bien éparpillé.

1979: à ma droite, un "petit prof" universitaire lyonnais qui proclame depuis des années cette "bonne nouvelle pour l'humanité": les chambres à gaz des camps de concentration nazis n'ont jamais existé, elles ne sont qu'un sinistre ragot de prisonnier, repris par la propagande de guerre et institué en vérité officielle par des forces -- sionisme et stalinisme notamment -- dont les intérêts là-dessus convergeaient. Il en serait de même pour le génocide des juifs, qui n'aurait "au sens strict" pas de réalité. Sur le premier point l'hurluberlu développe une argumentation parfois convaincante, du moins au premier abord. Il montre combien sont fragiles certaines "preuves" de l'histoire officielle.

A ma gauche, des représentants de la corporation des historiens qui, après avoir longtemps opposé le plus épais des silences aux cris du petit prof, déclarent dans le Monde: "il ne faut pas se demander comment techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. (...} il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de débat sur la question des chambres à gaz." Puis, une fois ces prémisses éthiques posés, la corporation entre plus ou moins dans le débat et s'applique à démontrer, parfois de façon convaincante, que le petit prof n'est pas aussi rigoureux qu'il le prétend et serait même à l'occasion quelque peu faussaire.

Ni l'un ni l'autre des adversaires ne se refusent aux considérations sur les motivations de l'ennemi, qu'on les trouve dans la psychopathologie ou dans le mesquin besoin de défendre son fromage, sans parler des ténébreuses arrière-pensées politiques que les deux camps se prêtent volontiers.

Tout cela au milieu des clameurs antifascistes de tous ceux qui ont la parole et s'entendent si bien à la garder: hommes politiques toutes tendances confondues -- des démocrates bon teint aux ex-vichystes, ex-OAS, en passant par les staliniens, des journalistes en quête de scoop, aux gardiens du souvenir, sans oublier ceux qui jugent important de communiquer leur opinion à chaque trouble digestif de la bonne conscience occidentale: les intellectuels.

L'affaire Faurisson survint en France après deux autres auxquelles, à première vue, elle ressemblait beaucoup. Il y avait eu d'abord un "coup" journalistique particulièrement malodorant: on était allé recueillir les borborygmes séniles d'un ancien commissaire aux questions juives retiré en Espagne, Darquier de Pellepoix. Puis les médias européens avaient lancé à grand fracas sur les écrans de télé un feuilleton produit aux Etats-Unis et consacré au destin tragique d'une famille juive pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce n'était pas la première fois qu'on ressortait ce serpent de mer: le nazisme relève-t-il la tête? Mais, la crise aidant, cette question avait des résonances plus inquiétantes: autour d'elle pouvaient se concentrer les peurs irrationnelles qui hantent les hommes lorsqu'ils identifient leur avenir à celui, fort incertain, d'un monde qui les opprime. On vit, donc, fait assez peu courant, les plus hautes instances gouvernementales débattre de la nécessité d'acheter d'urgence une "série" télévisée. La première projection d'Holocauste fut un moment de grande communion nationale. A entendre certaines conversations de rue, le devoir de tout démocrate était ce soirlà d'être devant sa télé.

L'attention des lecteurs de la presse fut attirée pour la première fois sur Faurisson grâce au Matin qui voulait sans doute monter une opération du même acabit que celle qu'avait réussie L'Express avec Darquier de Pellepoix. Connaissant les conditions dans lesquelles un entretien avait été extorqué au petit prof de Lyon et la façon dont avait été ensuite trafiqué et présenté l'entretien en question, nous nous en serions scandalisés si nous nous intéressions à ce machin: la déontologie, et si nous avions encore quelque illusion sur la profession de journaliste.

Le journal socialiste annonçait qu'à Lyon, un enseignant soutenait Darquier de Pellepoix. En outre, un antiraciste forcené, Jean-Pierre Pierre-Bloch, avait déclaré au Matin que la "thèse" de Darquier était celle de ce "faussaire de Rassinier". Or Faurisson se réclamait du même Rassinier. Rassinier étant mort et -- ce que Le Matin n'avait pas cru devoir reproduire -- Faurisson ayant déclaré que Darquier était le type même d'homme qu'il combattrait toute sa vie, le petit prof de Lyon était seul contre tous. D'un côté le méchant, de l'autre les bons. Tout était donc en place pour l'une de ces affaires qui ne peuvent que laisser indifférents ceux qui savent ce qu'est la société du spectacle. On allait assister à l'un de ces événements créés de toute pièce pour donner de l'ampleur au bruit de fond, pour que ne cesse pas un instant la musique d'ambiance qui est la raison d'être des médias, le flux de pseudo-informations qui empêchent le prolétaire de réfléchir.

Pourtant, certaines personnes, qui avaient presque toutes en commun d'être partisans de l'abolition du salariat (parmi elles figuraient P[ierre]. Guillaume, J[ean]-P[ierre] Carasso, H[ervé] Denès, C[hristine] Martineau) crurent utile d'écrire à Libération pour affirmer que Rassinier, dont Bloch faisait un ancêtre spirituel de Darquier, loin d'avoir été nazi, avait été un extrémiste de gauche, résistant et déporté à Buchenwald et qu'il était encore socialiste et pacifiste lorsqu'il formula les thèses qui lui valaient à présent d'être assimilé à un commissaire aux questions juives de Vichy.

Qu'allaient donc faire des révolutionnaires dans cette galère? Certains de ceux qui rédigent La Banquise ont donné leur signature à cette lettre parue sous le titre "Connaissez-vous Rassinier?" Aujourd'hui, nous considérons qu'avoir donné ces signatures fut une première erreur, pour plusieurs raisons, dont la principale est que cette lettre visait avant tout à préparer le "débat".

En effet, de quel débat s'agissait-il? La version officielle et l'opinion courante affirment que les nazis ont délibérément massacré des Juifs. Les "révisionnistes" à la Faurisson répliquent que les déportés sont morts de faim, de maladie, etc. Au lieu de mettre un pied dans ce débat, comme nous le fîmes, au lieu de s'y perdre, comme le firent quelques révolutionnaires, nous eussions tous été mieux avisés de répondre:

"Ce débat est faussé. Nous ne deviendrons pas plus des spécialistes du Zyklon B que nous n'avons réclamé en 1977 de procéder nous-mêmes à l' autopsie de Baader. Un très grand nombre (que nous vous laissons fixer) de Juifs, et Baader et ses camarades ont été tués par l'Etat allemand et le système capitaliste mondial."

Au point de départ, l'intérêt des révolutionnaires pour les camps de concentration (et donc pour Rassinier} s'intégrait à un effort d'analyse critique de la guerre de 1939-1945(*). Comprendre comment on avait utilisé, voire grossi, les atrocités nazies, pour justifier la guerre et l'après-guerre, aidait à mieux comprendre la fausse opposition démocratie-fascisme. Ce fut pour cette raison que nous avions republié un article de Programme Communiste: "Auschwitz ou le grand alibi", en 1971 et 1974. En 1983, après une campagne de quatre ans animée par la Vieille Taupe deuxième manière créée à cet effet par Pierre Guillaume, ceux qui ont pu lire les ouvrages publiés par la librairie la Vieille Taupe, fermée en 1972, ignorent toujours ce que la Vieille Taupe 2 pense de 1939-1945 * ou du fascisme. Depuis quatre ans, il n'a été question pour la VT2 que de gazage et du droit d'en parler.

Ceux qui se retrouvaient à la librairie la Vieille Taupe considéraient, comme nous l'avons dit, que leurs actes et leurs écrits étaient leur signature. La Vieille Taupe était un lien et un lieu de réunion -- tout, sauf une signature. P. Guillaume l'a ressuscitée sous la forme exclusive d'une signature qui tire, que P. Guillaume le veuille ou non, tout son intérêt d'une activité passée qui n'avait rien à voir avec son activité présente. En disant cela, nous ne nous posons pas en héritier sourcilleux d'une activité dont il fut le principal animateur. Simplement, par fidélité à ce que nous avons eu de commun avec lui autrefois, il nous faut opposer le P. Guillaume d'aujourd'hui à celui d'autrefois.

Si le Mensonge d'Ulysse de Rassinier est un document intéressant, s'il tranche sur la plupart des écrits de concentrationnaires, et sur le délire de certains, il n'en est pas pour autant un ouvrage exceptionnel. Tout ce que certains ont voulu y voir pourrait être dégagé d'autres récits, par exemple, de celui du déporté russe Martchenko, Mon témoignage, le Seuil, 1970. Bien plus que le livre lui-même, ce sont les réactions qu'il a provoquées qui sont révélatrices.

L'intérêt de Rassinier, c'est avant tout son refus de la propagande de guerre. Quand il sort de son hostilité au bourrage de crâne et se met à expliquer la guerre et la question juive, il débloque: non par des erreurs de fait (nous ne nous sommes pas attaqués à la vérification de ses sources), mais surtout par l'angle d'approche des problèmes. Qu'il ait pu être dérangeant n'y change rien. Les sectateurs de Moon, par exemple, dérangent aussi et réunissent contre eux une belle union sacrée. En deviennent-ils pour autant intéressants ?


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Il est cependant inexact d'écrire, comme P. Guillaume: "En deux mots, depuis 1970, la VT partageait pour l'essentiel les thèses de P. Rassinier." (texte pour Libération, dans S. Thion, Vérité historique ou Vérité politique, la VT, 1980, p. 139}. Ou que "Le Mensonge d'Ulysse fit l'unanimité de la VT pour reconnaître son importance radicale sur tous les plans." (P. Guillaume, préface à Rassinier, Ulysse trahi par les siens, la VT, 1980, p . 180 ) La seconde affirmation est très exagérée. Quant à la première, les "thèses" de Rassinier étaient mal connues, et récemment encore très peu de ceux qui le défendaient avaient lu autre chose que le Mensonge et Le Drame des Juifs européens. Aujourd'hui encore, qui a lu Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale?


Traiter le massacre des Juifs pendant la guerre en consacrant cent pages (un tiers du Drame des Juifs européens, 1964} à des calculs statistiques pour savoir si 1 million 600.000 Juifs ou bien 6 millions sont morts, c'est bien prendre les choses par le petit bout de la lorgnette, continuer Nuremberg en le contestant. Un livre profond et neuf sur ce sujet serait documenté, mais sortirait des faux problèmes de quantification. On a tout dit quand on a montré comment se forma comme un dogme le chiffre pour le moins douteux de six millions. On ne dit rien quand on élabore soi-même des statistiques rivales aussi invérifiables, pour le lecteur non spécialiste, que celles qu'on critique.

La plupart des documents et archives que nous avons consultés nous ont été fournis par la VT2. Ils montrent que Rassinier était porté et soutenu par tout un courant pacifiste, socialiste SFIO, humaniste, dans la ligne des instituteurs laics style IIIe République, comme Dommanget, libres-penseurs et adversaires de la guerre. Quand celle-ci est venue, en 1914, comme en 1939, ils l'ont généralement acceptée, sinon justifiée. Mais en dehors des périodes de guerre, ils maintenaient la tradition antimilitariste et se déclaraient parfois même libertaires. Après le scandale du Mensonge, vers 1950-51, ce milieu qui avait accueilli favorablement la critique du bourrage de crâne par Rassinier, s'efface. Rassinier s'enfouit alors dans la question juive et les chambres à gaz, décroche d'avec la gauche de la SFIO qui mène d'autres combats (contre la guerre d'Algérie). Il côtoie alors d'autant plus aisément l'extrême droite que les anciens pacifistes et les socialistes en général donnent largement dans la guerre froide. Pour la Vieille Taupe, "Rassinier est resté jusqu'à sa mort inébranlablement socialiste, pacifiste, antiraciste, internationaliste [...]" (P. Guillaume, préface à Ulysse trahi par les siens, p. 179) Rassinier était socialiste, au sens où il est resté une vingtaine d'années à la SFIO qu'il a même représentée à la chambre des députés. Son pacifisme exclut l'internationalisme, qui suppose entre autres la rupture avec les "partis ouvriers", et explique qu'il ait accepté un bout de chemin avec l'extrême-droite.

Estimant que le "bellicisme est passé de la droite à la gauche" et que "le Résistancialisme l'y a maintenu" (brouillon de lettre à Bauchet, 1964), uniquement préoccupé par la paix, il réserve en priorité ses coups à la gauche. Il existe pour lui, comme il existe pour l'antifascisme, un ennemi privilégié, mais pour lui, c'est la gauche, en particulier le PC, et non le fascisme. Il juge -- et cela scandalise les intellectuels de gauche, la droite moins dangereuse, comme Sartre préférait vers 1950 l'URSS aux E-U. Il ne partage pas les idées de Bardèche, directeur de Défense de l'Occident, mais c'est tout de même un "brave homme [...] plus un poète qu'un éditeur" (lettre à Faurisson, 3 janvier 1967). Il trouve Défense de l'Occident ou Rivarol moins nocifs que l'Humanité. Rassinier n'est pas devenu un "révolutionnaire sans révolution" écrivant là où il peut faire connaître sa recherche "scientifique". Rassinier, au départ de son action d'après-guerre, obéissait à une ligne politique précise, nullement révolutionnaire: "Paix avant tout". Il a fini par mettre son pacifisme au service du camp occidental de la guerre froide, et plus particulièrement de l'extrême-droite.

Dans Rivarol du 1er janvier 1964, Rassinier expose ainsi son point de vue: obsédé par le désir de justifier les indemnités versées par l'Allemagne à l'Etat d'Israël, le mouvement sioniste international "apporte le renfort des chambres à gaz et des six millions de morts" à toutes les attaques de Kroutchev contre l'Europe. Ce faisant, le mouvement sioniste ne manquera pas d'aboutir à ce que "non seulement les chevaux des cosaques se viennent abreuver à l'eau du Rhin, mais encore que leurs tanks aillent faire sur place leur plein au Sahara et leurs avions escale pour aller jeter leurs bombes aux Etats-Unis."

Le soi-disant antiraciste Rassinier, qui trouve à juste titre dégoûtant le discours stalinien de l'Humanité, n'est pas gêné d'écrire en 1963-64 dans un torchon comme Rivarol où s'étale à longueur de colonnes le racisme le plus graveleux.

Quitte à faire connaître Rassinier, la VT2 devrait rééditer Les Responsables de la Seconde Guerre mondiale (Nouvelle Editions Latines, 1967). Dans ce livre, la Seconde Guerre mondiale devient l'oeuvre d'un complot de marchands de canons, dominé par les Francs-Maçons et les Juifs, influents jusque dans la SFIO. C'est trente longues citations qu'il faudrait pour donner toute la mesure du caractère platement antisémite de cet ouvrage. Les Alliés ont tout mis sur le dos de Hitler. Rassinier a commencé par partager les responsabilités, avant de les faire peser particulièrement sur les Alliés. A notre point de vue, il est tout aussi absurde de dire que Hitler voulait (point de vue de Nuremberg) ou ne voulait pas (point de vue de Rassinier} la guerre. Pour la théorie révolutionnaire, l'éclatement d'une guerre moderne n'a que peu à voir avec la volonté, bonne ou mauvaise, des hommes d'Etat.

Les "Juifs" permettent à Rassinier de reprendre à son compte une vision du monde bien connue: la vieille tradition, étrangère à la critique révolutionnaire, qui explique la politique mondiale par les manigances d'un réseau international de financiers et de marchands d'armes tirant toutes les ficelles. Rassinier rejoint ceux qui identifient ce réseau avec la "communauté" transnationale juive, opposant le "capitalisme international" à l'industrie et au travail national.

Certes, on peut séparer les opinions d'un auteur de son oeuvre. Mais lorsqu'il s'agit d'indulgence ou de préjugés antisémites chez quelqu'un qui étudie la question juive et les camps de concentration où passèrent pas mal de Juifs, on peut craindre que l'auteur ne soit pas plus objectif que les tenants de la version officielle de l'histoire.

Pourquoi la VT2 présente-t-elle une image faussée de Rassinier? Pourquoi les idées de celui-ci ont-elles besoin d'être accompagnées d'une image d'homme de gauche antiraciste? La VT d'autrefois signalait les aspects fondamentaux de Bordiga sans nier son léninisme, ni cacher par exemple qu'il avait toujours approuvé la répression de Cronstadt. On n'avait pas besoin d'arranger sa biographie. La force des idées communistes dont il était porteur suffisait à séparer dans son oeuvre les positions justes des opinions erronées. Si la VT2 affuble Rassinier d'un masque d'antiraciste et d'internationaliste, c'est parce que toute son action a eu pour objet d'influencer les médias. Son but, c'est que Rassinier et Faurisson soient reconnus, admis sur le forum des idées. Il faut donc le prendre présentable; on ripolinera donc sa biographie. Régression énorme par rapport à ce que disaient l'IS et la VT première manière: quand on parlait d'éléments subversifs contenus dans certains "livres sans emploi", on leur donnait une portée universelle en les replaçant dans une théorie critique. Rien de tel dans la pratique de la VT2 qui publie simplement Rassinier et Faurisson. Il lui faut donc rajouter du subversif et même simplement de l'acceptable et du raisonnable là où il n'y en a pas.

Fin 78, quand éclata l'affaire Faurisson, la question concentrationnaire faisait depuis plusieurs années l'objet de discussions parmi nous.

En 1977, un projet de texte avait été donné à la Guerre Sociale par G. Dauvé. Modifié avec la collaboration directe ou indirecte de pas mal de monde, dont P. Guillaume, il parut en 1979 dans le n· 3 de la Guerre Sociale. La manière dont nous entendîmes parler de Faurisson donnait plutôt envie de faire quelque chose pour lui: il s'était fait agresser à cause d'idées hérétiques sur les camps nazis et après avoir été dénoncé par Libération; quant à lui, dans ses déclarations, il replaçait ses mésaventures dans un cadre plus large, contre toute propagande officielle, en précisant que la campagne contre Baader l'avait dégoûté. S. Quadruppani adresse une lettre [non publiée] à Libération. P. Guillaume rédige la lettre que publiera Libération le 22 janvier 1979 dont nous avons déjà parlé plus haut [citée dans Thion, Vérité... pp 128-130]. Cette lettre écrite pour protester contre l'assimilation de Rassinier à Darquier de Pellepoix donnait de Rassinier une image aussi fausse que celle qu'elle prétendait critiquer.

Sans même parler d'un contenu bien discutable, ce fut une lourde erreur d'entrer, même un peu, dans ce qui était et est toujours un scandale journalistico-politique, et rien d'autre. Nous n'avions pas à pénétrer dans l'arène de l'opinion publique. Exprimer les intérêts d'un mouvement dans sa totalité, sous la forme d'un manifeste par exemple, ce n'est ni demeurer dans une tour d'ivoire, ni se projeter dans une cause en oubliant tout le reste. Mais les signatures apportées à cette lettre encouragèrent les plus lucides, ceux par exemple qui se reconnaissaient dans l'article de la GS sur les camps, à considérer les choses suivant un angle d'attaque qui n'avait plus rien à voir avec la théorie révolutionnaire, à ne plus s'intéresser qu'à ce qui intéresse Faurisson, comme P. Guillaume, ou à mal faire la différence entre leurs idées et celles de Faurisson, comme les "fantassins" de la Guerre Sociale.

La rencontre de Faurisson aurait dû nous ouvrir les yeux sur la différence de nature entre sa recherche et notre activité. Durant l'année 1979, face à P. Guillaume, nous discutions, nous le critiquions, mais sans nous-mêmes comprendre et donc essayer de lui faire comprendre le fond de l'affaire: les révolutionnaires ne peuvent être solidaires de Faurisson. Rien ne dit que nous aurions pu l'empêcher de ressusciter la Vieille Taupe pour un tel gaspillage d'énergie. En tout cas, notre responsabilité est grande, car nous étions parmi ceux que Pierre connaissait le mieux .

L'idée que: "Nous qui sommes révolutionnaires entendons en tout cas le soutenir [...] parce que Faurisson est attaqué pour avoir cherché et fait progresser la vérité", cette idée exposée dans le tract de la GS Qui est le juif ?, était fausse, dès la diffusion du tract (1979). Nous ne l'avons alors ni compris, ni dit clairement (tract cité dans Mise au point, pp 98-99).

D'abord, nous n'avons pas à soutenir Faurisson car nous n'avons pas plus en commun avec lui qu'avec ceux qui le persécutent. Le problème de Faurisson est clair: la société distingue le meurtre de la mort non voulue. Elle poursuit l'assassin et se résigne aux accidents du travail et de la circulation, conséquences "naturelles" d'un mode de vie. Or du point de vue de l'espèce humaine, l'important est d'éviter les massacres, les souffrances, qu'il s'agisse de meurtre ou de mort violente mais considérée comme normale. La mort d'un enfant étranglé par un "sadique" stimule davantage les imaginations que la mort de faim de milliers d'autres. Les procureurs de Nuremberg ramènent les morts dans les camps de concentration au premier cas: ils en font un crime. Les avocats des accusés de Nuremberg les ramènent au second cas: ils en font un accident. C'est adopter le point de vue des avocats du Nuremberg que de démontrer que les nazis ont tué sans le vouloir ou sans le vouloir systématiquement.

L'analyse de la guerre de 1939-45 n'est pas ce qui intéresse Faurisson. Sa "passion de la vérité" prend les chambres à gaz pour objet. Libre à lui. Mais cette auto-limitation aboutit au même résultat que la campagne antifasciste présentant les nazis comme des monstres seuls responsables de la guerre. Car Faurisson éclaire un point mineur, braque encore plus le projecteur sur ce point, comme les autres experts, obscurcissant ainsi ce gui entoure ce point et pourrait l'expliquer. En contribuant à polariser l'attention sur les chambres à gaz, il les dramatise davantage, renforce le mythe. Sur toute la question du nazisme et de 39-45, continue de régner une grande obscurité, que cette polarisation entretient. C'est en sortant des chambres à gaz qu'on pourrait les considérer sérieusement et tenir le seul discours qu'il y avait à tenir sur cette question:

"Faurisson est attaqué et persécuté pour avoir affirmé que les chambres à gaz ne sont qu'un bobard de prisonnier. Nous ne sommes pas des experts et ne voulons pas le; devenir, nous n'entrerons donc pas dans cette discussion. Mais ceux qui croient qu'en retirant les chambres à gaz au nazisme, on affaiblirait l'horreur qu'il doit inspirer, révèlent leur conception grand'guignolesque de ce qui peut rendre la vie humaine réellement horrible. Ceux-là attachent l'horreur à des images, au lieu de la voir là où elle est: dans les relations entre les hommes. Dans leur conception, qu'un grossier bobard se soit imposé à des millions de misérables serait moins grave que l'existence d'une technique d'extermination particulière. Pourtant, si les chambres à gaz n'étaient qu'un sinistre ragot de prisonnier, il faudrait admettre, pour qu'un aussi énorme bobard se fût imposé avec tant de force à tant de gens, que ces gens aient été jetés dans une dépossession radicale d'eux-mêmes. Or, que cette dépossession ait bel et bien existé, voilà un fait massif que nul ne songe à discuter.

Que les chambres à gaz nazies aient eu ou non une existence concrète nous importe peu. Elles existent aujourd'hui, comme elles ont existé au minimum pour les déportés, c'est-à-dire comme image issue d'une réalité horrible. Il n'est pas nécessaire d'avoir des arrières pensées antisémites pour discuter de la possibilité que cette image n'ait pas correspondu, ou n'ait correspondu que partiellement à la réalité. Notre tâche est de soumettre à la critique le rôle que cette image joue dans l'idéologie antifasciste, et cette idéologie elle-même. Ce faisant, lorsque cette discussion et ces critiques nous vaudront d'être traités de nazi, nous aurons vérifié la mentalité totalitaire de nos imprécateurs. Mais ce qui nous qualifie à nos propres yeux pour opérer ce travail de déconstruction d'une idéologie, c'est justement que nous ne sommes pas de froids maniaques de la vérité -- si tant est qu'une telle espèce existe vraiment. Nous ne croyons pouvoir parler que parce que nous reconnaissons aux chambres à gaz cette existence minimum: elles ont incarné aux yeux de millions de déportés l'horreur réelle de ce qu'ils vivaient. "Les chambres à gaz, si elles n'étaient pas le moyen, seraient à tout le moins la métaphore" (Y. ChotardJ. Cette atroce image parvenue jusqu'à nous ne nous renseigne guère sur le fonctionnement réel des camps. Mais elle nous dit très bien le sentiment qu'ils doivent inspirer aux hommes."

C'était là tout ce qu'il y avait à dire sur la question des chambres à gaz. Quant à celle des camps, c'était l'analyse du nazisme et celle de 1939-45 qui permettait de la situer, et de la comprendre. Ce ne sont certainement pas les camps qui permettent de comprendre le nazisme. De même ce n'est pas le "Goulag" qui explique l'URSS, mais la compréhension de l'histoire et de la nature de l'URSS qui explique le Goulag.

Le massacre des Juifs permet à la démocratie de faire l'économie d'une critique du nazisme. Hormis les travaux des spécialistes, il n'y a pas de réelle tentative de compréhension du nazisme dans son ensemble. L'image ordinaire qu'en ont le plus grand nombre des hommes est concentrée sur ses pires horreurs réelles et imaginées. Cette image se forme suivant un processus à la fois spontané et organisé, populaire et étatique. L'article du n·1 de La Banquise intitulé "l'Horreur est humaine" analyse le processus de projection de l'horreur du présent dans le passé.

Faurisson s'affirme poussé par la passion de la vérité. Mais le vrai n'est vrai que par une relation sociale, comme lorsqu'on parle d'un comportement "vrai", d'une attitude adéquate à une situation, d'une réaction qui a fait avancer les choses. La vérité n'est jamais dans le fait brut, ni dans une chose inerte ou une pensée isolée, elle se dégage d'une mise en rapport. Elle est construite par le regard qui se pose sur elle (voir, dans ce numéro: "Vérité et opinion publique"). La vérité des camps comprend sans doute aussi les intentions de ceux qui ont ordonné leur construction, mais elle est surtout dans les conditions qui les ont produits et dans leur fonctionnement. La vérité des camps, ce n'est pas la dimension des bâtiments, le coût des matériaux, le nombre de déportés, la proportion de Polonais, etc., ou plus exactement, ces chiffres ne sont que des données qui ne forment pas la vérité: elles la deviennent par ce qui est forcément une organisation des faits. La controverse sur le nombre des victimes juives du nazisme nous éloigne de la vérité des camps.

Que Faurisson le veuille ou non, lui aussi organise les faits en fonction de son point de vue. Or, ce point de vue le rend absolument indéfendable.

Faurisson recherche l'authentique. Un document authentique ne dit pas forcément (pas souvent) la vérité, on sait seulement qu'il émane bien de la source dont il (on) dit qu'il provient. L'authenticité, c'est rester fidèle à sa propre loi. L'authentique existe seulement par rapport à des normes, à un code limitatif. La vérité, relation sociale, est potentiellement universelle, elle relève de l'activité humaine. En cela, la "vérité est révolutionnaire". La vérité n'est pas chez Faurisson.

"... le nombre de Juifs exterminés par les nazis (ou victimes du "génocide") est heureusement égal à zéro." Faurisson, cité dans Thion, p. 197).

Les détracteurs de Faurisson le traitent de nazi ou de fou. Tout bonnement, il joue sur les mots. Nier le génocide n'a de sens que si l'on donne au mot la signification que lui donne l'antifascisme le plus borné. Dire que les nazis ont perpétré le génocide des Juifs signifierait qu'ils avaient voulu de longue date et planifié la mort de millions de Juifs et qu'ils l'ont organisée ensuite par une méthode exceptionnelle. C'est le sens qu'on trouve dans le Robert, dictionnaire postérieur au procès de Nuremberg: "Destruction méthodique d'un groupe ethnique". Faurisson parle le même langage faux que les "exterminationnistes". Lui aussi fait du massacre une question d'intention. Il est sur leur terrain, et non sur celui d'une critique historique révolutionnaire, ou même simplement sérieuse. Même les historiens libéraux sont capables de voir que la vérité des camps et du génocide n'est pas dans une histoire des intentions.

Il y a eu massacre d'un grand nombre de Juifs parce que juifs. Et à nos yeux, si les mots ont un sens, il y a eu génocide, quel que soit exactement le nombre de morts. La France a commis un massacre à Sétif et dans le Constantinois en 1945, qu'elle ait tué 4.500 ou 45.000 Algériens. Il y a eu un génocide des Peaux-Rouges.

Nous ne voulons pas discuter avec des gens qui nient des massacres et des persécutions raciales en tordant les mots, mais avec ceux qui essayent de les expliquer, ce que ne font ni les exterminationnistes ni les révisionnistes. Faurisson n'est ni utilisable ni soutenable, parce qu'il renforce une confusion que la théorie révolutionnaire est justement là pour dissiper.

Dans un texte publié par Libération le 7 mars 1979, Pierre Guillaume écrivait deux phrases qui pourraient fort bien résumer notre position sur le fond de cette affaire: "l'antinazisme sans nazi qui règne sur le monde est l'exutoire d'une société déboussolée qui ne parvient pas à affronter ses problèmes réels. On ne lutte pas contre les mécanismes inexorables des oppressions réelles avec des images d'Epinal". Si ce texte n'avait contenu que cela, on aurait simplement pu observer que sa publication dans Libération allait contre un de nos principes: à savoir qu'on ne défend pas de positions de fond dans les journaux. Malheureusement, il contenait bien autre chose. Peu après la parution de cet article, P. Guillaume expliquait pourquoi il avait jugé utile de donner sa prose à l'organe central du néoréformisme .

Après avoir expliqué les persécutions qui s'abattaient sur Faurisson, P. Guillaume poursuivait: ... il devenait vital pour le développement de la situation d'obtenir de l'appui et donc d'obtenir l'accord de tous sur un même texte, sans concession ni double pensée. Ce texte devait donc intégrer la fameuse phrase qui semblait rendre Faurisson indéfendable: "Hitler n'a jamais ordonné l'exécution d'un seul Juif par le seul fait qu'il fût juif" en montrant que cette phrase était strictement vraie, même si Hitler se foutait pas mal de ce que devenaient les Juifs en pratique."

Cette phrase rendait effectivement Faurisson indéfendable.

Qu'il soit strictement vrai que sur "le plan de l'histoire scientifique", "Hitler n'a jamais ordonné l'exécution d'un seul Juif par le seul fait qu'il fût juif", après avoir examiné de plus près le travail scientifique de Faurisson, nous n'en sommes plus si sûrs. Mais même si cela était vrai, cette vérité nous paraîtrait si stricte, si restrictive, qu'elle serait réduite à rien. Quand Pierre Guillaume ajoute: "même si Hitler se foutait pas mal de ce qui arrivait aux Juifs", il montre lui-même l'inanité de cette prétendue vérité.

Un membre du Herouth pourrait dire: "Jamais Begin n'a ordonné ou admis que quiconque fût tué, en raison de son appartenance palestinienne, à Sabra et Chatila." Faurisson serait d'accord: où sont les documents authentiques prouvant le contraire? La vérité, c'est qu'on est toujours responsable de ses alliés et que, si elle ne l'a pas voulu, l'armée israélienne a au moins créé les conditions propices à ce massacre (sans parler du fait qu'elle a laissé les assassins continuer). La commission d'enquête israélienne a elle-même reconnu une responsabilité "indirecte" de l'Etat. On pourrait multiplier les phrases du genre: jamais G. Mollet n'a ordonné ou admis que quiconque fut tué ou torturé du seul fait qu'on le soupçonnait d'appartenir au FLN. Jamais Staline...

Il est strictement faux d'affirmer que Hitler se foutait du sort des Juifs. Il n'a pas organisé leur massacre collectif depuis 1919, mais il a beaucoup fait pour qu'il en meure pas mal, et ce n'est vraiment pas être victime de la propagande antifasciste que de penser qu'il n'a pas dû pleurer sur leur sort. Faut-il vraiment retrouver des ordres écrits de la main de G. Mollet pour l'associer aux tortures des Algériens? Sans doute se foutait-il pas mal de ce qu'il advenait des militants du FLN tombés aux mains des parachutistes pendant la bataille d'Alger. Pour être antistalinien faut-il vraiment trouver des ordres écrits de Staline prouvant qu'il était directement impliqué dans la politique de son Etat? En réalité, la critique révolutionnaire n'a que faire de la culpabilité individuelle des chefs d'Etat, et il en est de même de leur innocence. Ce qui détermine notre attitude vis-à-vis d'eux, ce n'est pas leur volonté bonne ou mauvaise. Ce qui en fait des ennemis, c'est qu'ils sont chefs d'Etat. Or, la VT2 en est à démonter que les nazis, et particulièrement Hitler ne sont "pas coupables" de tout ce qu'on leur impute. Prendre le contrepied de la version officielle n'est pas la critiquer.

Comment Faurisson prétend-il défendre l'indéfendable? Voici les explications qu'il donne dans l'ouvrage de Thion:

"'Jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion.''

Explication de cette phrase:

Hitler et les nazis disaient: ''Les Alliés et les Juifs veulent notre anéantissement, mais ce sont eux qui seront anéantis .''

De la même façon, les Alliés et les Juifs ont dit: ''Hitler et les nazis veulent notre anéantissement, mais ce sont eux qui seront anéantis.''

Pour un camp comme pour l'autre, il s'agissait avant tout de gagner la guerre, à la fois contre les militaires et contre les civils (hommes, femmes, enfants, vieillards confondus)."

C'est là que nous avons décroché. Hic jacet lepus.

Hitler et les nazis d'un côté, les Alliés et les Juifs de l'autre: cette délimitation des camps en présence est fausse historiquement, elle devrait être odieuse à tous ceux qui ne sont pas antisémites. Les nazis -- un parti politique au pouvoir dans un Etat -- et Hitler -- le chef de ce parti et de cet Etat -- constituent un ensemble aisément délimitable. Mais, à moins de penser, avec les antisémites d'avant-guerre, que les Juifs manipulaient les régimes démocratiques, il est faux de présenter les Juifs comme une entité belligérante. Faurisson précise en note: "Le 5 septembre 1939, Chaim Weizmann, président du Congrès juif mondial, a déclaré la guerre à l'Allemagne." Outre que c'est là, sur le plan de l'histoire, une affirmation romancée, on fera remarquer que Weizmann n'était nullement, comme Hitler ou Roosevelt, un chef d'Etat capable de mobiliser des armées et des citoyens. Faurisson poursuit en note: "Pour Hitler, les Juifs étaient représentants d'une nation hostile belligérante." Force est de constater que Faurisson partage là-dessus le point de vue de Hitler.

Dans son numéro spécial du 17 février 1939 consacré aux Juifs, Je Suis Partout, organe des fascistes et antisémites français, écrivait:

"Les Juifs -- nous croyons l'avoir suffisamment démontré -- constituent malgré leur dispersion une nation parfaitement homogène, plus cohérente au point de vue racial que tous les autres groupements humains. A ce titre, ils sont soumis aux grandes lois qui régissent les rapports entre les différentes communautés humaines du monde. Or la vie d'une nation est faite d'alternatives entre la paix et la guerre. [...] Le Peuple français est en paix avec I' Allemagne. Le Peuple Juif est en guerre avec l'Allemagne. Peu importe de savoir qui a commencé. Constatons que la nation juive a un différend PERSONNEL à régler avec le Reich et qu'elle s'efforce de le régler victorieusement en mobilisant sous ses étendards le maximum d'alliés possibles."

Faire de critères raciaux le signe d'appartenance à une nation qu'on combat, c'est une politique raciste. Considérer que cette nation définie par une politique raciste a existé, c'est adopter un point de vue raciste. Réduire la mort des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale à un fait de guerre banal, c'est occulter le racisme comme composante fondamentale de l'idéologie et de la politique nazies.

Certes, "on ne lutte pas contre les mécanismes inexorables des oppressions réelles avec des images d'Epinal". Mais que font Faurisson et la VT2? A l'image d' Epinal dominante, dessinée à Nuremberg et coloriée par la projection de l'horreur moderne, ils opposent une autre image d'Epinal: celle de la guerre entre les Juifs et les nazis. Cette conception, qu'ils partagent avec la droite antisémite n'est pas plus fausse que celle qui fait d'une guerre impérialiste une croisade contre le Mal Absolu. Mais elle ne l'est pas moins. Ceux qui voient dans la naissance du "mythe" du génocide l'oeuvre d'un complot juif pensent suivant les mêmes schémas que ceux qui voient derrière les travaux de Faurisson la main d'une internationale néo-nazie. Les uns comme les autres ont en commun une conception policière de l'histoire.

Peu importent les intentions de P. Guillaume. Force est de constater que loin de permettre à nos positions de fond de s'exprimer en s'appuyant sur les travaux de Faurisson, son activité a seulement abouti à donner une caution ultra-gauche à l'hurluberlu lyonnais.

Début 1980, décidés à mettre les choses par écrit, J.-P. Carasso, G. Dauvé, C. Martineau et S. Quadruppani écrivirent chacun une lettre à P. Guillaume exprimant leur désaccord profond. Tentative tardive pour redresser la barre de la VT2, mais au moins, on mettait les pieds dans le plat.

Faurisson, écrivons-nous, viole un tabou sans le démonter, il reste sur le terrain du mythe. On ne réfute pas une religion, on ne "convainc" pas ses adeptes, on montre sa fonction et son fonctionnement. Pas plus qu'on ne réfuterait une publicité, qui n'est ni vraie ni fausse: son propos n'est pas de démontrer, mais d'associer, comme un mythe, riche et vivant par ses variantes. Il est donc absurde, si on veut le déconstruire, de chercher à prouver que le mythe ment.

"Les membres des classes populaires (...J croient à certains des dogmes fondamentaux de la doctrine chrétienne, et, s'ils ne se posent guère de questions à leurs propos, c'est simplement qu'ils ne croient pas que les dogmes puissent avoir un rapport quelconque avec les vérités de tous les jours." (R. Hoggart, La Culture du Pauvre, Ed. de Minuit, 1970, pp 162-163J. Cette vérité s'applique évidemment à toutes les classes. Le même qui fait preuve de grand bon sens dans sa vie quotidienne avale sans discussion les pires invraisemblances sur Jésus, Staline, les chambres à gaz, etc.

La réponse de P. Guillaume, quelques mois plus tard, se résuma à: persiste et signe. Depuis, il poursuit toujours dans cette voie.

En gros, les chambres à gaz, tout le monde y croit plus ou moins. Mais le doute à leur sujet n'est pas un levier miraculeux permettant de soulever le monde ou son idéologie. Il se peut que le doute soit en train de croître. Et alors? Croire qu'on pourrait intervenir pour que l'abandon de cette croyance ne se fasse pas en douceur, et oblige à réfléchir sur les mécanismes de l'idéologie, c'est une illusion proche du délire. Pourquoi les chambres à gaz seraient-elles le grain de sable providentiel, propre à gripper le mécanisme de l'idéologie antifasciste? Il n'y a pas de grain de sable. Pour s'en convaincre, il suffirait de voir combien toute l'affaire Faurisson était spécifiquement française .

La mythologie horrifique a pour fonction principale d'aveugler sur l'unité fondamentale du monde moderne. La mythologie concentrationnaire issue de la Deuxième Guerre mondiale n'est qu'une partie de cet ensemble de représentations d'une barbarie contre laquelle la démocratie serait le seul recours. Mais la mythologie concentrationnaire et l'imagerie des chambres à gaz ne sont nullement la clé de voûte de l'idéologie dominante. Elles jouent un rôle d'importance inégale suivant les pays. Aux Etats-Unis, un Butz, "révisionniste" et antisémite peut professer dans une petite université, sans que ses théories déclenchent l'hystérie journalistico-politicienne d'une "affaire Faurisson". En Grande-Bretagne, un ancien officier des services spéciaux peut organiser un faux camp de concentration où l'on paie pour se faire maltraiter, alors qu'en France une telle entreprise aurait été impossible, il y aurait eu mobilisation des organisations et intervention de la justice.

Comme P. Guillaume l'avait montré dans sa postface aux Trois sources du marxisme de Kautsky (Spartacus, 1969), il n'y a pas de conscience en dehors d'une pratique où cette conscience a une fonction. L'ambition léniniste de "faire prendre conscience" est idéologique: elle ne sert qu'à donner au donneur de conscience un pouvoir sur ceux à qui il l'apporte. Il ne nous viendrait pas à l'idée d'appeler par tract au communisme. Même en période révolutionnaire, on n'y "appellerait" pas, on exprimerait ce qu'on serait en train de faire. L'opinion publique, c'est l'inverse: elle se passionne pour ce qu'elle ne fait pas, ce qu'elle ne peut pas changer.

Quand l'horizon révolutionnaire paraît bouché, le révolutionnaire s'accroche facilement à des solutions miracles. La VT2 croit à un certain nombre de "principes" qui seraient subversifs: vérité, honnêteté, probité scientifique, exactitude de l'information. Elle se bat au nom de l'idéal des médias contre leur usage réel. Elle en appelle au code moral contre le viol du code. L'expérience enseigne pourtant que toute morale est faite pour être transgressée, toute déontologie fixée en fonction des écarts inévitables et prévus. Dans le faux Monde Diplomatique, nous n'avions pas reproché à la presse de mal jouer son rôle. Nous constations au contraire qu'elle le remplissait. Le mouvement révolutionnaire n'appelle pas à une idée de la justice contre les manquements à cette idée. Il montre que l'université, l'école, l'armée, la justice, la presse, l'art, etc., etc., ne peuvent jouer qu'un rôle de garants de l'ordre social. La VT2 en arrive à exiger du journaliste qu'il fasse le vrai devoir du journaliste. Rien ne sépare cette revendication des campagnes démocratiques pour une information "véritable", une presse "libre du pouvoir et de l'argent", l'"accès de tous à la culture", etc.

L'important n'est pas le fait que ces gens croient ou non à l'existence des chambres à gaz, mais la raison pour laquelle ils tiennent tellement à cette croyance. Il ne s'agit pas de s'en prendre à la vérité ou à la fausseté de la croyance, mais aux causes historiques qui en font un tabou.

L'affaire Faurisson eut des effets néfastes aussi bien dans la société que chez ceux qui la critiquent. Au moment où la "communauté juive" allait constituer un ghetto de plus, une "identité" de plus, au moment où le mouvement révolutionnaire devait affirmer l'espèce humaine contre la cristallisation des "communautés" homosexuelle, arabe, juive... à ce moment-là, l'influence délétère de Faurisson s'exerça dans les rangs révolutionnaires. La VT2 se mit à rechercher des noms à consonance juive pour signer ses lettres et pétitions. Or, parler des "juifs" comme d'une réalité banale, alors que c'est la première notion à critiquer, et dont la remise en cause ébranle à la fois l'antisémitisme et le sionisme, voilà une habitude que Faurisson contribua à renforcer parmi ceux qui lui trouvèrent de l'intérêt.

La conception de la Deuxième Guerre mondiale comme "guerre inexpiable entre Hitler et les juifs" procède, à l'instar de Hitler ou Begin, à une intégration forcée de toute personne née de parents juifs, dans le bloc "les juifs", en sommant cette personne de se conformer, pour son malheur ou son bonheur, à une communauté de destin "juive" qui relève du mythe. Dire "les juifs..." c'est justifier la prétention et la pratique du IIIe Reich et de l'Etat d'Israël à imposer leur loi à tout individu qui ne pourra prouver sa non-appartenance à cette "communauté".

Tout autant que la bombe de la rue Copernic ou la fusillade de la rue des Rosiers, le scandale Faurisson aura obtenu l'inverse de ce que pouvaient souhaiter les révolutionnaires: figer dans une hystérie défensive les "personnes nées de parents juifs". C'est entre autres à cause de Faurisson, si aujourd'hui des gens en sont encore à se chercher une identité en fonction de critères ressemblant comme deux gouttes d'eau à ceux des lois raciales du IIIe Reich.