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GRANDEUR ET LIMITE DE
L'AUTOMATION
QUELQUES PROBLEMES ACTUELS DU
CAPITALISME

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Si les états, aujourd'hui, se préparent et se livrent déjà à une guerre économique qui reste malgré tout dans les limites du raisonnable, s'ils peuvent préparer et même parfois faire la guerre tout court dans des espaces particuliers, pour l'instant, ils ne suppriment ni une consommation minimale, au contraire tout est fait pour la maintenir, ni et surtout les organes d'encadrement du travail, trop utiles à la paix sociale et à l'union sacrée. Si les syndicats, du fait de leur turbulence, devaient être mis au pas dans l'Allemagne de Weimar, nous pouvons affirmer par contre qu'un régime classiquement et démocratiquement autoritaire l'aurait bien mieux fait que le nazisme en ne les éliminant pas totalement. (Un Autre Regard sur le Communisme, chapitre sur le fascisme et la social-démocratie).

A cet égard, il convient de remarquer que la faiblesse des organisations syndicales dans certains pays ne provient pas essentiellement d'une politique fondamentalement répressive de l'appareil d'état, mais, pour une large part, de la désaffection des ouvriers qui ne s'y retrouvent plus. La contradiction du capital apparaît aussi à ce niveau, il veut qu'existent des interlocuteurs valables et compréhensifs, alors que son évolution interne conduit à vider de toute substance et de toute réalité l'expression de cette représentation. Le fascisme, pas plus que le stalinisme, ne peut apparaître comme une "solution-réponse" efficace et crédible à la crise de valorisation du capital, et il faut se souvenir que le fascisme fut une tentative limitée à un seul des grands pays industriels de l'époque, il fut une mesure conservatoire et une stratégie dangereuse pour la bourgeoisie elle-même, et contrairement à ce qui a pu être affirmé un fantastique aveu de faiblesse. Il imposait à la bourgeoisie une discipline qu'elle était alors incapable d'organiser par et pour elle-même. A bien y regarder, le fascisme apparaît pour ce qu'il a véritablement été, un formidable anachronisme. Par ailleurs, il supposait une représentativité ouvrière structurée et un fort encadrement qui n'existent plus aujourd'hui, car il pouvait y puiser sa démagogie sociale, il supposait aussi un état jouissant de la totalité de ses prérogatives. Aujourd'hui encore, tous les pays capitalistes développés sont organisés par des structures politiques et sociales capables, quand le besoin s'en fait réellement sentir, de remettre par elles-mêmes de l'ordre dans le fonctionnement de l'économie, de réorganiser la société tout en gardant le décor et les contrepoids fort utiles à son fonctionnement, à savoir la démocratie qui apparaît réellement pour ce qu'elle est, une agitation spectaculaire destinée à vendre des programmes tous semblables, tous similaires dont seul l'emballage change, comme pour tous les produits que nous rencontrons sur le marché. Elle est valorisation d'elle-même, en effet, tout discours contestataire ou à prétention révolutionnaire renforce le pouvoir de la démocratie et donc de la société dans son ensemble parce qu'elle rend ce discours possible, qu'elle le tolère ou même l'accepte. Elle reste actuellement, elle aussi, un pivot mental et social incontournable. L'extension de la démocratie et son développement à travers le monde ont tellement perverti les esprits comme moment indépassable de la vie sociale que même des prolétaires en acceptent l'utilisation pour participer à la réorganisation de leur exploitation comme ce fut le cas récemment à Alcatel. M. Seguin avait même pour projet d'organiser un référendum sur le travail, la crise sociale et les moyens d'en sortir.

Les sociétés capitalistes futures resteront probablement des sociétés démocratiques, spectaculaires et sans doute encore largement consommationnistes, ce qui n'est pas contradictoire avec la tendance générale à l'épuisement de la consommation sociale dans ses normes actuelles, tout en faisant régner un ordre totalitaire plus diffus et plus efficace que celui même du nazisme, d'autant plus efficace justement parce que plus diffus, et donc accepté et intériorisé par les individus. Le niveau de liberté formelle s'est en fait incroyablement abaissé depuis quelques années. Les mesures, que vient de prendre Mr Pasqua, vont toujours plus dans le sens du renforcement du contrôle social et plus personne n'est à l'abri de poursuites et de tracasseries policières diverses qui ne suscitent que très peu de réactions de la part des "citoyens". Nous ne citerons qu'un exemple de cette nouvelle liberté surveillée, à Chicago, les résidents des HLM sont requis de signer un bail accordant aux forces de l'ordre le droit d'entrer sans prévenir dans les appartements. Il ne leur sera même pas nécessaire d'obtenir, comme pour tout autre logement, un mandat de perquisition. Cette violation "du droit de la personne privée", qui vise une population parfaitement ciblée, est bien sûr justifiée par le besoin de protéger les habitants des HLM du terrorisme des gangs. (Monde diplomatique, Mai 1994).

Comme tout un chacun a pu le constater une idée force parcourt ce texte qui exprime, premièrement que l'ampleur du chômage ne prouve en définitive rien d'autre que le chômage, deuxièmement que les millions de chômeurs, par le seul énoncé des chiffres, ne nous apprennent pas plus sur la société et son évolution qu'à eux seuls les morts, dont le chiffre peut être astronomique et se compter par millions, n'expliquent et n'analysent les guerres. C'est une fois de plus réduire la crise à un simple élément comptable. Cela nous autorise à affirmer que l'absence de travail ou son remplacement par le travail objectivé, grâce à l'automation et à la robotique, ne déclencheront pas plus un sursaut prolétarien que l'absence de tout et le dénuement le plus profond déjà bien connu par les prolétaires au 19 ème siècle, entre 1914-18, après 1929 et entre 1939-45 etc...L'exclusion radicale du travail, pas plus que l'extrême pauvreté hier comme aujourd'hui, n'est le détonateur révolutionnaire enfin trouvé. La révolution communiste n'est pas économiquement quantifiable, même si elle est économiquement et socialement déterminée. Ce qu'il nous a paru important de tenter de souligner est que nous sommes, aujourd'hui, placés entre deux phases de développement du capitalisme dans une époque profondément instable où, par la généralisation de l'automation et de la robotique, le capital lui-même remet en cause ses fondements, le salariat, sans pour autant totalement le supprimer. En dépit de la longueur et de l'ampleur de la crise, les prolétaires peuvent encore saisir l'occasion, mais pour combien de temps encore?, de transformer cette remise en cause du travail par le capital lui-même en sa suppression communiste pure et simple, et ce, en dépit du fait que les conditions générales et historiques de la lutte des classes semblent s'être largement détériorées. Nous le verrons par la suite.

Le monde capitaliste est placé devant une alternative où il ne choisit pas, car il ne peut pas le faire. Il n'avait pas choisi Taylor, Ford ou Keynes, ils se sont imposés à lui par la réalité existante des rapports de forces sociaux dans les pays capitalistes développés. Et ce qui était vrai hier l'est toujours pour le présent, le capital peut soit se moderniser, impulser un nouveau consensus social au prix de la fondation d'un nouvel ordre économique qui accentuerait le rôle marginal, non du travail, ce qui existe déjà, mais du travailleur. Une telle modernisation entraînerait des changements de tous ordres considérables dans une société jusque là centrée sur le travail et les travailleurs. Soit le capital peut encore temporiser au prix d'une aggravation de la crise économique et de l'inertie sociale, aggravation ponctuée par les éclairs de quelques dynamismes, tant prolétariens que bourgeois par ailleurs, qui ne déboucheraient sur rien de bien profond et de bien fondamental. Le capital n'a pas le choix, il préfère et choisit toujours, en dernière analyse, la voie qui lui paraît la plus sûre et le chemin qui apparaît comme le moins dangereux à court terme. A cet égard, ce n'est pas le goût du risque du capital japonais qui le lance dans l'expansion informatique et audiovisuelle, dans l'agressivité commerciale au plan mondial, c'est l'efficacité organisative de sa société qui le lui permet, et cette efficacité est l'héritière de toute son histoire, de l'histoire concrète des contradictions entre les classes.

Si quelques rares individus bourgeois peuvent, aujourd'hui, mettre en garde contre l'évolution automatisante du système et mettre en garde contre les résultats catastrophiques et prévisibles de celle-ci, si même ils peuvent théoriquement élaborer des solutions, il n'en reste pas moins vrai que le capitalisme ne renouera avec un nouveau cycle productif quantitativement et qualitativement différent de celui que nous connaissons que sous la pression de secousses sociales nécessairement violentes, peut-être même de guerres qui, si elles ne se déroulent pas obligatoirement dans et entre les métropoles capitalistes développées, ne les affecteraient pas moins gravement. Imposées par la réalité des rapports sociaux, ces secousses violentes se manifesteraient précisément par une liquidation drastique et importante de capital mort et de capital vivant, indispensable à sa modernisation. Toute l'histoire moderne montre, en effet, que jamais l'édifice capitaliste ne se modifie en profondeur autrement que sous la pression de secousses et de critiques violentes qui remettent en cause le principe même de sa légitimité à diriger et à organiser la vie sociale dans son ensemble.