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GRANDEUR ET LIMITE DE
L'AUTOMATION
QUELQUES PROBLEMES ACTUELS DU
CAPITALISME

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Dans cette hypothèse, et nous pensons qu'il est maintenant devenu nécessaire qu'elle se réalise pratiquement sur le terrain, est-ce à dire que le capital pourrait en quelque sorte revenir à une situation antérieure et redonner au travail et aux travailleurs la place qui était autrefois la leur ? Une telle évolution ne semble, aujourd'hui, guère envisageable, l'histoire démontre, du moins jusqu'à présent, qu'au contraire le capital dépasse nécessairement ses contradictions antérieures pour créer du "neuf et qu'il ne revient jamais en arrière. Outre qu'initialement cela demanderait une telle destruction de travail vivant et de travail mort difficilement possible pour le moment du moins, le capital n'en continuerait pas moins à exclure les travailleurs et le travail du processus de fabrication et de valorisation. En dehors de toute critique communiste du monde, le capital devra bien un jour régler ce redoutable problème, s'il se débarrasse du travail vivant en surnombre, les individus quant à eux continuent d'exister, alors qu'en faire? et les quelques subsides, qu'ils continueraient de percevoir, continueraient d'alourdir les conditions d'extraction de la plus-value. S'il est exact d'affirmer comme le fait P.Souyri qu'une société ne peut durablement vivre avec des camps de concentration et des fosses communes, une telle situation peut momentanément, car historiquement déterminée dans le temps, être une étape obligée de sa restructuration. (1914-1918, 1939-1945). Tout au plus compenserait-il cette évolution historique décisive, interne par l'élargissement externe de la force de travail.

Après 1929, à titre d'exemple, le capital n'avait pas remis en cause les gains de productivité induits par le développement du machinisme, bien au contraire, il les avait même encore très largement développés. Pendant quelques années, les effets de ces gains ont pu être masqués par l'élargissement de la production industrielle de marchandises, par l'élargissement de la force de travail, exclue en grande partie déjà par les gains de productivité antérieurs. A la densification de l'exploitation répondait alors sa généralisation sociale, et le capital ne faisait ainsi que compenser quantitativement ce qu'il réalisait qualitativement. Pour autant, cela ne réglerait pas le problème qui lui est fondamental. Cette évolution suppose et nécessite de nouvelles marchandises pouvant être consommées en masse, et dont la quantité disponible sur le marché et capable de s'y réaliser camouflerait et compenserait les gains de productivité prodigieux liés à l'automation. Elle suppose donc une base sociale substantiellement élargie de leur consommation. D'autre part, nous avons vu qu'en l'état pareille modernisation ne serait pas synonyme de capacité à mettre au travail la quantité énorme de la force de travail actuellement disponible sur le marché. Il est peu crédible de penser, à ce niveau, que le capital organiserait une telle destruction de capital mort et vivant afin de pouvoir recommencer tout le cycle de son développement historique. Pour donner une idée de l'ampleur des destructions nécessaires pour obtenir un tel but, signalons que la Seconde Guerre mondiale, certes peu avare de destructions massives, n'a pu empêcher que même en Allemagne la productivité et la production elle-même n'aient cessé d'augmenter entre 1939 et 1945. Par ailleurs, la masse de capital mort à détruire s'est considérablement alourdie depuis ces dates.

Le capital, aujourd'hui, ne peut se résoudre ni à un retour en arrière professionnaliste ni à une totale fuite en avant automatisante, dans un cas comme dans l'autre il remettrait en cause les bases mêmes de sa domination sur la société. Il est fondamentalement en situation d'attente, il continue de maintenir à bout de bras des secteurs déficitaires, il n'automatise pas les entreprises à tout va et il freine sa modernisation tout en l'organisant. En attendant les indispensables secousses sociales, il ne peut mettre en place ni généraliser un nouveau cycle de production qualitativement différent de celui que nous connaissons, car celui-là, dans des conditions sociales qui resteraient par ailleurs inchangées, conduirait à faire reposer tout l'édifice sociale sur sa pointe, sur une minorité de travailleurs "directs". Une semblable situation amplifierait les effets catastrophiques de la crise, que nous vivons, sans tracer les moindres perspectives sociales, et cela la société dans son ensemble ne peut l'accepter. Actuellement, les rapports sociaux existants ne lui imposent pas encore de pareils bouleversements, et d'autre part une société n'accepte véritablement les crises dans leurs dimensions les plus fortes que quand les solutions, pour les résoudre, lui préexistent déjà. Par contre, nous pouvons émettre l'hypothèse qu'après les secousses violentes dont il aura été l'objet, et toujours en dehors de la révolution communiste, le capital puisse organiser socialement un travail remodelé, redistribué, allant de pair avec une nouvelle école, une autre façon de consommer et de communiquer, le tout sur une base sociale profondément élargie. De fait, la pyramide sociale ne risquerait plus alors d'être posée sur une pointe, puisque l'ensemble de la construction sociale se trouverait modifiée, et par là-même, élargie. La généralisation de l'Organisation Scientifique du Travail et du fordisme n'a aussi été possible, et il faut le rappeler, que par la reconstruction de "capital mort" préexistant même à cette généralisation tout en la permettant, car le second terme n'aurait pas été significativement possible sans le premier. Cela n'implique pas pour autant que l'histoire du capitalisme ne soit qu'un éternel recommencement. Il n'y a rien de commun, en effet, entre le capital du 19 ème siècle et celui de la fin du 20 ème ni dans son fonctionnement interne ni même dans le rapport entre les classes sociales. De toute manière, il faut être clair, cette restructuration ne concernerait, pour l'essentiel, que les pays capitalistes avancés. Ce capitalisme là, pas plus que les autres, ne serait définitivement prospère, convivial et non contradictoire. De surcroît, aujourd'hui comme hier, il ne vivrait que comme une île de relative prospérité au milieu d'une planète qui n'atteindrait jamais ce niveau de développement et qui vivrait toujours la misère la plus totale. Il resterait traversé de luttes sociales comme, après 1950, l'avait été la société de consommation, que ce soit en Europe, au Japon et aux USA.

Aujourd'hui, nous voyons à peine poindre les prémices de cette évolution, puisque le capital est incapable de faire surgir cette nouvelle organisation du travail. On peut, à cet égard, mesurer deux choses, la première qui est la faible émergence de nouvelles conditions et modes de travail, alors que, par contre, apparaissent idéologiquement de nouvelles qualifications qui masquent la réalité des tâches productives les plus traditionnelles comme les opérateurs de production qui remplacent les classiques OS ou les techniciens de surface qui remplacent les balayeurs, tandis que la seconde voit surtout la destruction de l'ancienne force de travail. En outre si le capital tend à l'homogénéisation du travail par la fin définitive des métiers, ceci reste, malgré tout, socialement peu reconnu et accepté. La communauté du travail, qui fait encore référence et ce en dépit de cette évolution irréversible, est encore et malgré tout celle du métier. L'automation n'a pas encore totalement tué l'idée du métier, et il y a contradiction entre la réalité, la compréhension sociale et le vécu imaginaire de cette évolution irréversible. Seule la crise, son approfondissement et sa résolution permettraient de liquider cette contradiction. On notera l'énorme chemin qui reste à parcourir. A terme, ce chemin signifierait, à la place de l'ancienne communauté ouvrière professionnellement définie, une communauté de formation et de destin qui ne serait pas nécessairement liée à une fonction précise, qui flotterait d'un métier à un autre, d'un espace géographique à un autre, et dont les frontières ne seraient pas étanches, communauté qui passerait, en quelque sorte, d'un poste qualifié à un autre. Il y aurait là émergence d'un nouvel être collectif du prolétariat, aussi différent que celui des OS l'était par rapport aux OP et autres techniciens. L'élite, la nouvelle couche porteuse de valeurs, pourrait être celle de ces nouveaux qualifiés qui seraient donnés en exemple aux autres prolétaires comme, autrefois, l'étaient le métallurgiste ou le mineur.

Le capital chercherait à la gagner à lui par l'adhésion pratique et idéologique, à la gagner à la rationalité qu'ils mettent en oeuvre. Cela ne signifierait pas, alors que le réformisme issu des luttes de classes antérieures est définitivement condamné par l'histoire et les prolétaires (en deux ans, même la DGB allemande a perdu plus de 1,4 million d'adhérents) la fin de la tentative de refonder une représentation prolétarienne au sein du capital, puisque le travail associé et l'activité y acquerraient un rôle inégalé. Ce ne serait plus le métier, la qualification personnelle, mais l'action collective, au delà des techniques particulières assez vite assimilables, qui deviendrait ou pourrait devenir le ciment de ce nouveau réformisme. Toutefois, ce dernier perce mal, et nous avons vu pourquoi, incapable qu'il est de s'affirmer comme nouvelle forme d'encadrement face aux anciennes comme la CGT-FO ou l'AFL-CIO. A la fois parce que les salariés les désertent et que ces organisations continuent de s'arc-bouter sur une tradition de métier qui leur fait perdre toute une clientèle possible comme les précaires ou les chômeurs et, contradictoirement, les nouveaux qualifiés. Même les plus modernistes, comme la CFDT, restent prisonniers de ce schéma fondamental et amplifient leur inefficacité en ne sachant, en définitive, que choisir: le métier ou la nouvelle communauté qui s'ébauche difficilement.