TURIN
1943
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Si la démocratie italienne s'est livrée presque sans combat au fascisme, ce dernier réengendre la démocratie lorsqu'il a cessé de correspondre à l'état des forces politico-sociales. Comment maîtriser la classe ouvrière ? Question centrale après 1943 comme en 1919. En Italie plus encore que dans d'autres pays, la fin de la seconde guerre mondiale atteste la dimension de classe des conflits entre Etats, que n'explique jamais la seule logique militaire. Une grève générale éclate à FIAT en octobre 1942. En mars 1943, une vague de grèves secoue Turin et Milan, avec tentatives de former des conseils. En 1943-45 surgissent des groupes ouvriers, parfois indépendants du PC, parfois se proclamant "bordiguistes", souvent à la fois antifascistes, rossi, et armés. Le régime n'assure plus l'équilibre social, tandis qu'au même moment l'alliance allemande devient intenable devant l'avance des Anglo-Américains dont chacun pressent qu'ils vont dominer l'Europe occidentale. Changer de camp, c'est se ranger aux côtés des futurs vainqueurs, mais aussi canaliser les révoltes ouvrières et les groupes de partisans vers un objectif patriotique à contenu social. Le 10 juillet 1943, les Alliés débarquent en Sicile. Le 24, mis en minorité au Grand Conseil Fasciste par 19 voix contre 17, Mussolini se retire. Rarement dictateur aura dû s'incliner devant la règle majoritaire. Devenu depuis son appui à la Marche sur Rome un dignitaire du régime, le maréchal Badoglio, soucieux d'éviter, dit-il, que "l'écroulement du régime aille trop à gauche", forme un gouvernement encore fasciste mais sans le Duce, et s'adresse à l'opposition démocratique. Celle-ci refuse, faisant un préalable du départ du roi. Après un second gouvernement de transition, le maréchal en constitue un troisième en avril 1944, dont fait partie le chef du PC, Togliatti: sous la pression des Alliés et du PC, les démocrates acceptent maintenant le roi (la République sera proclamée par référendum en 1946). Mais Badoglio rappelle trop de mauvais souvenirs. En juin, Ivanoe Bonomi, celui qui 13 ans plus tôt envoyait par circulaire les officiers encadrer les fasci, forme un ministère excluant cette fois les fascistes. En la personne de cet ex-socialiste, ex-belliciste, ex-ministre, ex-député du "bloc national" (fascistes inclus), ex-chef d'Etat de juillet 1921 à février 1922, c'était l'un des artisans de la transmission du pouvoir à Mussolini qui prenait la tête d'un gouvernement anti-fasciste. Enfin la situation fut canalisée vers le tripartisme (PC + PS + Démocratie Chrétienne) qui dominera en Italie comme en France les premières années de l'après-guerre. Chassés-croisés d'un personnel politique souvent identique, valse des pantins sanglants, tel est le décor derrière lequel la démocratie se métamorphose en dictature, et vice-versa, selon que les phases et ruptures d'équilibre des conflits de classes et de nations entraînent une succession et une recombinaison de formes politiques afin de maintenir le même Etat garant du même contenu. Nul ne sera mieux qualifié pour le dire que le PC espagnol, déclarant avec cynisme ou naïveté, au milieu des années 70, lors de la transition du franquisme à la monarchie démocratique: "La société espagnole souhaite que tout soit transformé afin que soit assuré, sans à-coups ni convulsions sociales, le fonctionnement normal de l'Etat. La continuité de l'Etat exige la non-continuité du régime." (4) |
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