VOLKSGEMEINSCHAFT
CONTRE GEMEINWESEN
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C'est sur le terrain révolutionnaire que triomphe la contre-révolution, inévitablement. A travers sa "communauté populaire", le national-socialisme prétendra éliminer le parlementarisme et la démocratie bourgeoise contre lesquels s'était insurgé le prolétariat après 1917. Mais la révolution conservatrice reprenait aussi d'anciennes tendances anti-capitalistes (retour à la nature, fuite des villes...) que les partis ouvriers, même extrémistes, avaient niées ou mésestimées par incapacité à intégrer la dimension a-classiste et communautaire du prolétariat, à critiquer l'économie, et à penser le monde futur autrement que comme prolongement de la grande industrie. Dans la première moitié du XIXème siècle, de tels thèmes figuraient au cur du mouvement socialiste, avant d'être délaissés par le "marxisme" au nom du progrès et de la science, et ne survivre que dans l'anarchisme, ou chez des sectes. (5) Volksgemeinschaft contre Gemeinwesen, communauté populaire ou communauté humaine... 1933 n'est pas la défaite, seulement sa consommation. Le nazisme est venu résorber, résoudre, clore une crise sociale si ample que nous l'apprécions mal. L'Allemagne, berceau de la plus grande social-démocratie du monde, a vécu aussi le mouvement radical le plus fort, anti-parlementaire, anti-syndical, aspirant à un monde "ouvrier" mais capable d'attirer bien d'autres contestations anti-bourgeoises et anti-capitalistes. La présence d'artistes d'avant-garde aux côtés de la "gauche allemande" n'est pas un accident. Elle signale la mise en cause du capital comme "civilisation", au sens où la critiquait Fourier. Perte de communauté, individualisme et grégarisme, misère sexuelle, famille rongée mais valorisée comme refuge, éloignement de la nature, alimentation industrielle, artificialité croissante, prothéisation de l'homme, course après le temps, mort de l'art, relations de plus en plus médiatisées par l'argent et la technique... toutes ces aliénations passent alors au feu d'une critique confuse et multiforme, dont un regard superficiel ne distingue après coup que l'inévitable récupération. La contre-révolution n'en a triomphé dans les années 20 qu'en inaugurant en Allemagne comme aux Etats-Unis les débuts d'une société de consommation et du fordisme, entraînant dans la modernité industrielle et marchande des millions d'Allemands, ouvriers compris. Dix ans d'un règne fragile, comme le montre l'hyper-inflation folle de 23. En 1929, formidable ébranlement: ce n'est plus le prolétariat, c'est la pratique capitaliste qui renie son idéologie d'un progrès offrant à tous une consommation croissante d'objets et de signes. L'extrémisme nazi, et son déferlement de violence, seront à la mesure de la profondeur du mouvement révolutionnaire qu'il reprend et nie, et de cette double remise en cause, à dix ans d'intervalle, de la modernité capitaliste, par les prolétaires d'abord, par le capital ensuite. Comme les radicaux de 1919-21, le nazisme propose une communauté salariale, mais autoritaire, fermée, nationale, raciale, et réussit pendant 12 ans à transformer les prolétaires en salariés et en soldats. Le fascisme est fils d'un capitalisme qui ruine des relations anciennes sans pouvoir y substituer celles qui accompagnent la communauté marchande. Hitler a beau emprunter à des âges révolus, il n'en naît pas moins des contradictions du monde moderne. |
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